L'intégration sur le marché du travail des personnes souffrant de déficience intellectuelle est peut-être l'un des tabous les plus tenaces dans notre société. Qu'à cela ne tienne, Bertrand Martin a décidé, avec l'aide de son paternel, de fonder sa propre entreprise, Copier Coller.

Comme en témoigne le parcours de Bertrand Martin, 35 ans, il est difficile, sinon impossible pour une personne ayant une déficience intellectuelle de se tailler une place sur le marché du travail. D'abord employé comme commis au courrier dans la compagnie d'assurances où son père travaille, il perd son emploi lorsque ce dernier part à la retraite. «Le patron trouvait que j'étais trop de trouble, il n'avait pas le temps de s'occuper de moi. La même chose s'est produite dans les endroits où j'ai fait des stages par la suite», se souvient-il.

Bertrand Martin n'est pas le seul à vivre ce rejet. Selon l'Enquête sur la participation et les limitations d'activités: l'incapacité au Canada datant de 2006, 10,4% de la population du Québec vit avec une incapacité. Parmi ces personnes, plus de la moitié sont faiblement scolarisées et traditionnellement exclues de la formation, alors que seulement 46% des 15 à 64 ans ont un emploi (comparativement à 79% pour les personnes sans incapacités).

Souffrant de déficience intellectuelle légère, Bertrand a besoin d'encadrement, mais cela ne l'empêche pas d'être apte au travail, autonome (il vit seul dans son appartement) et d'avoir plusieurs qualités, dont sa mémoire extraordinaire: «On me surnomme la mémoire phénoménale! Je peux retenir tous les noms et numéros de téléphone des pages jaunes», lance-t-il fièrement.

Cela lui sert lorsqu'il est le temps d'offrir un service personnalisé à ses clients du Copier Coller, entreprise du Mile End offrant des services de design graphique, d'imprimerie, de papeterie (en plus d'un café internet) qu'il a fondée avec l'aide de son père. En compagnie de Justyna Guzdek au design graphique et de Sylvain Grenier aux tâches manuelles, Bertrand s'occupe du service à la clientèle et aide dans des tâches simples, comme le boudinage.

«Je n'avais jamais été entourée de personnes avec une déficience, donc c'était un défi pour moi, explique Mme Guzdek, qui fait partie prenante de l'entreprise depuis sa création il y a cinq ans. Bertrand m'a appris la patience, je le suis beaucoup plus maintenant», avoue-t-elle en riant.

Donner au suivant

Pour Bertrand Martin, il est important de passer le message qu'on peut être valable pour une entreprise même si on est limité dans certaines de nos capacités. Voilà pourquoi Copier Coller accueille pour la deuxième année quatre élèves souffrant de déficience intellectuelle légère dans le cadre d'un stage d'un jour par semaine. «Ça leur montre que si moi je suis capable de réussir, eux aussi sont capables de le faire», explique M. Martin.

C'est dans le cadre du programme Formation Préparation au Travail (FPT) (adapté à la clientèle avec déficience intellectuelle légère), offert à l'école spécialisée Centre François-Michelle, que les élèves peuvent participer à ce stage. «Cela leur permet de développer de nouvelles capacités, de leur donner confiance en eux et de se sentir intégrés, utiles. Depuis le début du stage, j'ai vraiment vu une belle évolution, ils sont maintenant capables de faire les tâches seuls, ils sont très fiers», observe Anne Gagnon, éducatrice spécialisée qui accompagne les élèves chez Copier Coller.

Audrey Tellier, une élève qui participe au stage, se dit inspirée par Bertrand: «Oui il m'inspire! J'aimerais ça plus tard essayer de travailler en pâtisserie, commencer en bas de l'échelle et voir si je suis capable de monter, on ne sait jamais ce qui peut arriver!»