Près de sept ans après l'entrée en vigueur des dispositions concernant le harcèlement psychologique dans la Loi sur les normes du travail, force est de constater que plusieurs entreprises n'ont pas encore de politique de prévention claire et efficace à cet égard.

L'avocate Nathalie-Anne Béliveau vient tout juste de publier la deuxième édition de son ouvrage Les normes du travail, où elle examine des éléments jurisprudentiels, législatifs et doctrinaux en lien avec la loi du même nom. Un ouvrage qui, croit-elle, peut servir non seulement aux avocats mais aussi aux gestionnaires des ressources humaines et dirigeants d'entreprise.

Dans cette deuxième édition, elle consacre un nouveau chapitre au harcèlement psychologique. Rappelons que les dispositions concernant le harcèlement psychologique au travail incluses dans la Loi sur les normes du travail sont entrées en vigueur le 1er juin 2004.

«La loi édicte les règles applicables, mais elles sont interprétées par la jurisprudence et, parfois, le résultat peut être assez surprenant. Par exemple, on a vu qu'un employeur peut être condamné à payer le soutien psychologique à un employé reconnu victime de harcèlement psychologique», explique l'avocate associée chez Fasken Martineau Dumoulin.

Devoir de prévention

La loi, telle que le démontre Me Béliveau, est très claire quant au devoir de prévention de l'employeur: «Les employeurs au Québec doivent avoir une politique en matière de harcèlement psychologique, la porter à la connaissance des employés et l'appliquer.»

Selon Angelo Soares, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM qui s'intéresse à la question du harcèlement psychologique depuis près de 15 ans, «il faut une politique vivante, qu'on doit utiliser comme outil de prévention. Et il faut en parler périodiquement, car c'est ainsi qu'on réussira à dissuader les gens d'adopter ce genre de comportement».

«Il est aussi très important qu'il existe dans les entreprises un processus de dépôt des plaintes», ajoute Me Béliveau. À cet égard, M. Soares suggère d'ailleurs aux entreprises de mettre en place des moyens formels pour essayer d'abord de régler les conflits à l'interne. «La loi ne devrait être utilisée qu'en dernier recours», dit-il.

Les chiffres ne lui donnent pas tort: parmi les 189 plaintes transférées à la Commission des relations de travail en 2009-2010, 80% ont profité d'un règlement à l'amiable en médiation.

La dernière enquête sur le harcèlement psychologique, réalisée pour la Commission des normes du travail (CNT) en juin 2010, montre par ailleurs que, malgré la loi, plusieurs entreprises n'ont encore pris aucune mesure de prévention.

Le constat est particulièrement alarmant du côté des petites entreprises (de 5 à 49 employés), où 48% affirment ne disposer d'aucun moyen pour prévenir le harcèlement, une proportion qui baisse à 26% pour les moyennes entreprises (50 à 99) et à 13% pour celles de 100 employés et plus. La principale raison invoquée est la croyance qu'aucune situation de ce genre ne risque de survenir.

Et c'est bien là un des problèmes, constate M. Soares. «Selon mes recherches, c'est justement les entreprises qui affirment ne pas avoir de problèmes qui le plus souvent en ont. Elles jouent à l'autruche!»

Effets négatifs pour tous

Au final, les organisations ont intérêt à investir en prévention, car le harcèlement psychologique affecte négativement non seulement la victime, mais aussi son entourage, la société et l'entreprise, avance M. Soares.

La compétitivité même d'une entreprise peut en souffrir. Une recherche réalisée en Norvège dans des cuisines de restaurants en fait une démonstration convaincante: celles où il y avait du harcèlement psychologique ne réussissaient pas à se classer dans les tables gastronomiques, alors que toutes celles qui étaient reconnues comme telles n'avaient pas de problèmes de harcèlement dans leur milieu de travail.

«Cela prouve à quel point la qualité de service et du produit est affectée par cette violence au travail. Il a même été montré que les gens qui sont témoins de harcèlement expérimentent une détresse psychologique plus élevée», dit M. Soares.