Avec la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée et le départ à la retraite de milliers de personnes, la rétention d'employés constitue plus que jamais un défi de taille pour les employeurs. Et pour susciter l'engagement au travail, il faut désormais s'adresser autant au coeur qu'à la tête.

André Savard est consultant en ressources humaines (RH) pour les gestionnaires d'entreprise depuis nombre d'années, notamment pour la firme Dessureault, Savard, Caron et associés. Sur le terrain, il dit constater de plus en plus cette réalité annoncée depuis au moins cinq ans: la pénurie de main-d'oeuvre qualifiée.

«Ça devient une préoccupation réelle pour les employeurs de voir toutes ces têtes blanches qui partent et le peu de jeunes qu'il y a pour les remplacer. Si une organisation veut maintenir sa compétitivité, elle ne pourra plus se contenter de gens qui font seulement leur job; elle aura besoin d'employés engagés», avance-t-il.

On distingue habituellement un modèle d'engagement organisationnel en trois composantes, explique Véronique Dagenais-Desmarais, professeure en gestion des RH à l'Université de Sherbrooke: l'engagement de continuité, où le travailleur conserve son emploi parce qu'il n'a pas d'autre option, l'engagement normatif, où c'est par sens du devoir, par obligation morale ou par loyauté que l'employé demeure en poste, et, finalement, l'engagement affectif, où c'est l'amour pour l'organisation et le travail qui prime.

Alors que l'engagement de continuité est une «prison dorée» pour le travailleur, c'est l'engagement qui vient du coeur qui serait le plus bénéfique, autant pour les employés que les employeurs, note la professeure, qui s'intéresse de près à la question du bien-être et de la santé psychologique au travail.

«Un employé qui aime son travail sera en général plus performant, motivé et s'absentera moins. Les bénéfices sont aussi grands pour les employés: meilleure santé mentale et physique, plus d'émotions positives au travail, mais aussi dans leur vie à l'extérieur du bureau. Ils sont aussi moins stressés et moins à risque de faire des burn-out ou des dépressions», énumère-t-elle.

Avec l'évolution du contrat de travail où «la sécurité d'emploi n'est plus inébranlable», l'engagement normatif semble perdre de son importance, ajoute la professeure. Dans un contexte où on veut attirer les meilleurs talents, mais aussi les retenir, favoriser l'engagement affectif de l'employé n'est donc pas un luxe, mais une nécessité. «Sans compter qu'un taux de roulement élevé coûte excessivement cher aux entreprises», ajoute-t-elle.

Du groupe à l'individu

Dans son plus récent guide pratique intitulé Au-delà de la mobilisation: susciter l'engagement!, publié par le groupe-conseil CFC l'automne dernier, André Savard constate comment le monde de l'emploi est passé de la mobilisation, «l'ère des systèmes et des têtes» à l'engagement, «l'ère des têtes et des coeurs». Fini le temps où le gestionnaire se contente de diriger un groupe dans une même direction: on est désormais passé à l'approche individualisée.

Les gestionnaires doivent donc modifier leur comportement et s'intéresser davantage à l'individu, croit M. Savard. «L'engagement, quant à moi, c'est une affaire individuelle. Il faut donc créer une relation de proximité avec les gens. D'autant plus que la nouvelle génération ne se contentera plus d'avoir un job; elle veut «avoir rapport» dans l'organisation», croit M. Savard.

Une nouvelle tendance qui a été observée, note par ailleurs Mme Dagenais-Desmarais, est celle de l'engagement envers le supérieur immédiat. «Les études démontrent clairement que l'engagement envers le supérieur est particulièrement déterminant quand l'engagement envers l'organisation s'est effrité. On peut penser aux survivants de la crise économique de 2008, par exemple.»

Les gestionnaires ne doivent donc pas sous-estimer leur rôle, avertit M. Savard. Il est important qu'ils donnent l'exemple, qu'ils prennent le temps d'expliquer aux nouveaux employés le sens des tâches à accomplir et qu'ils fassent preuve de reconnaissance au quotidien: «Le supérieur immédiat est celui qui donne un sens au travail, qui m'explique pourquoi je suis là et me fait sentir important», dit-il.