Affirmer que le perfectionnisme est notre plus grand défaut en entrevue d'embauche n'est pas aussi inoffensif qu'il n'y paraît. En effet, le perfectionnisme excessif nuirait au rendement au travail, en plus de causer des problèmes de santé et d'affecter les relations personnelles.

Patrick est un perfectionniste. Pilote de formation, il a oeuvré durant quelques années dans le domaine du journalisme. «Des fois, je pouvais écrire deux ou trois versions de l'article, pour trouver le meilleur angle et tenter de satisfaire à la fois mon patron et le lecteur. Je ne dormais pas de la nuit à force d'essayer de trouver la meilleure tournure...», se souvient-il.

Patrick voit plutôt les défauts de son travail que ses qualités: «Après quelques années, j'ai quitté mon travail. Il me semblait que je n'étais pas particulièrement doué. Je ne crois pas que mon perfectionnisme m'a aidé. À trop vouloir bien faire...».

Retourné à ses premières amours, le pilotage, il avoue que son perfectionnisme continue à lui causer des difficultés: «Avant un vol, je fais très souvent de l'insomnie en essayant de préparer le meilleur plan de vol possible. J'arrive toujours avant mes collègues pour faire les vérifications d'usage... Et comme je suis très exigeant envers moi-même, je deviens parfois frustré envers ce que je perçois comme de la nonchalance ou de la négligence de la part du copilote.»

Un problème sous-estimé

Bien perçu par certains, boulet pour d'autre, le perfectionnisme est, selon Louise Careau, psychologue au Centre d'aide aux étudiants de l'Université Laval, «une croyance, un schéma de pensée qui se manifeste par une tendance à avoir des exigences très élevées envers soi-même et parfois envers les autres.»

Le degré peut varier d'un individu à l'autre. Selon Mme Careau, il est important de différencier le perfectionnisme «sain», grâce auquel on vise l'excellence, du perfectionnisme malsain.

Un avis partagé par la docteure en psychologie Marie-Claude Pélissier: «Le perfectionniste adapté vise haut, mais peut s'adapter selon la situation, tandis que le perfectionniste dysfonctionnel se fixe des objectifs irréalistes. La moindre erreur est alors perçue comme un échec.»

Contrairement à l'idée reçue, les perfectionnistes n'obtiennent pas nécessairement de meilleurs rendements au travail, affirme Gordon L. Flett, Ph.D. titulaire de la Chaire de recherche en santé et personnalité à l'Université York à Toronto, qui étudie le sujet depuis près de 20 ans: «Il y a une mince ligne entre l'excellence et la perfection absolue. Des recherches montrent que les perfectionnistes extrêmes sont moins productifs. Ils peuvent aussi tomber dans la procrastination et ne jamais terminer leur travail, car ils jugent qu'il n'est pas parfait!»

Dernièrement, M. Flett s'est intéressé plus spécifiquement à la question du perfectionnisme au travail, un phénomène qu'il dit sous-estimé. «Lorsque quelqu'un m'affirme que le perfectionnisme ne nuit pas à son travail, je lui pose toujours deux questions: comment vont tes relations avec les autres et comment se porte ta santé? Si ces gens réussissent au travail, c'est souvent au détriment de ces deux aspects.»

Trois dimensions

M. Flett distingue trois dimensions du perfectionnisme: celui qui est orienté vers soi-même (self-oriented), vers les autres (other-oriented) et celui qui croit que les autres exigent la perfection de sa part (socialy prescribed).

Ainsi, chaque dimension peut causer différents problèmes au travail. Par exemple, le self-oriented sera plus susceptible d'être aux prises avec l'ergomanie (workaholisme), qui mène souvent à l'épuisement physique et mental. Ceux qui sentent une pression de la part des autres ont plutôt tendance à être constamment insatisfaits de leur travail et à sombrer dans la dépression.

D'un autre côté, il peut être ardu de travailler avec une personne qui exige la perfection des autres: «Imaginez un patron pour qui rien ni personne n'est jamais assez bon!», exemplifie M. Flett.

Comment s'en sortir?

Il peut être difficile de désapprendre le perfectionnisme, car c'est souvent un comportement qui remonte à la plus tendre enfance, parfois causé par des parents qui exigent et valorisent la perfection, note Mme Pélissier. Des observations de M. Flett ont même décelé des symptômes chez des enfants de trois ou quatre ans!

«Le premier pas, c'est d'identifier les avantages et inconvénients du perfectionnisme. Le travail peut être bon, mais à quel prix d'effort, d'énergie, de temps manqué avec les enfants, les amis?», demande la docteure Pélissier.

«Une des clés, c'est d'arriver à accepter notre imperfection», conclut M. Flett.