Dans les années 70, les économistes et les futurologues nous prédisaient une «société des loisirs».

Force est de constater que celle-ci ne s'est jamais concrétisée. Au contraire, le travail prend de plus en plus d'importance! Nombreux sont les travailleurs qui sacrifient des aspects importants de leur vie personnelle pour leur carrière. Mais pourquoi?

«Ces prédictions faites dans les années 1970 étaient probablement utopiques, dit Diane-Gabrielle Tremblay, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les enjeux socioorganisationnels de l'économie du savoir. On voyait même des titres de livres comme: travailler deux heures par jour! Mais pour que la société des loisirs soit possible aujourd'hui, il aurait fallu que les revenus aient progressé de façon importante pour tout le monde, et ce n'est certainement pas le cas.»

En fait, on observe une tendance à la polarisation des heures de travail selon les secteurs d'emploi, explique Mme Tremblay. D'un côté, dans certains secteurs précaires, comme le commerce de détail ou les services, les horaires sont instables et les employés souhaiteraient souvent travailler plus d'heures.

Mais du côté des emplois professionnels, dont le nombre a augmenté dans la nouvelle économie, beaucoup de gens travaillent plus de cinquante heures par semaine.

«Souvent, les gens ont des mandats, et le temps nécessaire pour effectuer ces mandats est sous-estimé par ceux qui négocient les contrats, dit Mme Tremblay. C'est le cas notamment dans le monde de l'informatique et du multimédia.»

Une enquête réalisée par son équipe a démontré que les professionnels et les cadres apportent de plus en plus de travail à domicile. Environ 25% de l'ensemble des travailleurs du secteur privé le font, avec une moyenne de six à huit heures par semaine. Plus ils avancent en âge, plus ils ont des responsabilités importantes, et plus leurs heures s'allongent.

«Une partie de leur travail est fait à la maison, et on ne parle pas ici de ceux qui font du télétravail de façon formelle, dit la chercheuse. La technologie y contribue beaucoup. Les entreprises donnent à leurs employés des ordinateurs portables, des téléphones intelligents, et il y a une exigence implicite qui va avec: celle d'être joignable en tout temps.»

De fait, les Canadiens sont plus nombreux qu'auparavant à travailler plus de cinquante heures par semaine. Alors qu'en 1991, c'était le cas pour un travailleur sur 10, en 2001, leur nombre avait augmenté à un sur quatre. Une étude réalisée sur 10 ans auprès de 32 000 Canadiens a démontré que les heures consacrées au travail ont augmenté de façon générale durant la même décennie. Et ceux qui ont fait des heures supplémentaires sans être payés ont presque doublé!

Cette augmentation du temps consacré au travail peut s'expliquer par différents facteurs, selon la Dre Linda Duxbury, professeure à la Sprott School of Business de l'Université Carleton, et coauteure de l'étude avec Chris Higgins.

«Beaucoup de gens relient leur sécurité d'emploi et leurs possibilités d'avancement aux heures travaillées, dit Mme Duxbury. Ils ont le sentiment que s'il y a une promotion, celle-ci sera donnée à l'employé qui ne dit jamais non. Et en même temps, ils croient que s'il y a des licenciements économiques, ceux qui refusent de travailler davantage seront les premiers à être licenciés. C'est d'autant plus vrai avec la récession que nous venons de traverser.»

Mais ce n'est pas toujours la faute du patron, il faut le préciser! «Les travailleurs de l'économie du savoir font en général ce qu'ils aiment, ajoute-t-elle. Ils sont intéressés par leur travail et les nouvelles technologies font en sorte que ce travail peut les suivre partout. Si vous faites ce que vous aimez dans la vie, et que vous avez la possibilité de le faire tout le temps, un effort conscient doit être fait pour dire non et se couper avec leur travail. Certains ont un problème avec ça.»

Diane-Gabrielle a observé le même phénomène. «C'est difficile de départager clairement qui a la responsabilité de tout ce temps additionnel consacré au travail. C'est vrai que les organisations sont exigeantes, mais les gens travaillent aussi pour eux-mêmes et pour leur carrière, dit-elle. Nous avons observé que chez les jeunes qui travaillent dans le jeu vidéo, par exemple, la frontière, pour certains, devient plus floue entre le travail et les loisirs. Plus les gens ont une autonomie dans leur travail et plus ils s'y engagent. Ça devient, dans certains cas, de l'auto-exploitation.»