Fonder une entreprise sans trop réfléchir relève de la pure folie, vous diront la plupart des gens. «Pas toujours, affirme une spécialiste. Il faut trouver un bon créneau, avoir du timing et pouvoir démarrer avec peu de financement.» Et faire preuve de courage et de passion. L'essentiel, c'est de transformer cette passion en travail!

Lors d'un voyage à New York, Sylvestre Calin s'est découvert une passion: le vélo à pignon fixe. À l'époque, il travaillait dans une entreprise de balayeuses, mais il a voulu partager sa passion avec les Montréalais. Un jour, en pédalant avenue du Parc, il a vu un local à louer. Il a signé le bail et bingo! Quelques semaines plus tard, il ouvrait Brakeless, une boutique de vélos à pignon fixe. Sans plan d'affaires, sans étude de marché, sans investisseur extérieur et avec, en plus, trois enfants à nourrir.

Fou, ce Sylvestre? Pas nécessairement, croit Louise Péloquin, chargée de formation à HEC.

«Il arrive que des gens se lancent en affaires sans passer par les étapes traditionnelles de démarrage et s'en sortent très bien. Toutefois, ils doivent vraiment avoir trouvé un bon créneau, avoir du timing et pouvoir démarrer avec peu de financement.»

Sylvestre semble avoir réuni ces conditions. Ses vélos, qui n'ont qu'une seule vitesse et aucune roue libre, ce qui oblige à pédaler constamment, sont absents des magasins à grande surface. Et il fait surtout du sur-mesure, un gros avantage pour lui qui ne pouvait compter sur de bonnes économies.

«Je ne garde pas un gros stock parce que je commande surtout les pièces choisies par mes clients. J'ai aussi la chance d'avoir l'aide de ma conjointe. Les chiffres et les papiers, c'est elle! Ça représente au moins 50% du succès d'une business.»

Le timing aussi semble bon, parce que la tendance prend de l'ampleur à Montréal, qui compte de plus en plus de vélos à pignon fixe dans ses rues.

Autre business, autre réalité

Yan Caron a aussi tout plaqué pour faire ce qui l'allume dans la vie. Mais son cheminement n'a rien à voir avec celui de Sylvestre. En s'associant à trois partenaires, il a ouvert le studio d'entraînement Locomotion, au Technopôle Angus, dans le quartier Rosemont. Pour louer le local, l'aménager, acheter l'équipement et embaucher les entraîneurs, le fonds de démarrage devait être considérable.

«Je n'étais pas riche mais, pendant des années, je mettais toujours le plus d'argent possible de côté pour réaliser mon rêve», explique Yan, diplômé de HEC. Il a trimé dur pour arriver où il est aujourd'hui, passant des Forces armées canadiennes au travail de 9 à 5 - sa phobie! - dans une grande institution financière.

La rencontre de partenaires a été salutaire pour l'entrepreneur de 32 ans, qui a aussi pu compter sur ses parents pour investir une somme importante dans le projet. Mais il fallait tout de même trouver du financement.

Mme Péloquin croit qu'il y a beaucoup de soutien pour les jeunes entrepreneurs. «Ils peuvent obtenir de l'aide dans les quartiers, les municipalités et les régions avec, par exemple, les Corporations de développement économique communautaire (CDEC) et les Services d'aide aux jeunes entrepreneurs (SAJE). Ces organismes peuvent leur fournir du financement et un bon réseau. Toutefois, c'est un long processus et il faut se préparer avant d'aller cogner à leur porte.»

Yan en sait quelque chose. «Nous avons travaillé pendant une grosse année sur notre plan d'affaires et nous avons participé au concours d'entrepreneurs de la CDEC. Nous n'avons pas gagné mais, à la remise de prix, nous avons rencontré le banquier qui a finalement accepté de nous financer, avec d'autres partenaires, après trois mois d'efforts soutenus de persuasion.»

Une vie transformée

Considérant tout le temps et l'argent investi, est-ce que le jeu en vaut vraiment la chandelle?

«Évidemment! s'exclame Yan qui a troqué avec joie le complet-cravate pour le short d'entraînement. Dans un bureau, je me sentais vieux, coincé et fatigué. Maintenant, c'est sûr que je suis presque toujours au gym, mais je me sens à ma place.»

Sylvestre encourage aussi les gens à se lancer, à aller au bout de leurs rêves, malgré le risque que ça ne fonctionne pas. Aujourd'hui, même s'il affirme avoir été heureux dans le domaine des balayeuses, il se réjouit de voir à quel point sa vie a changé.

«Il y a tout le temps des gens qui passent me voir à la boutique, même s'ils n'ont rien à acheter. Les liens que je crée avec mes clients sont très forts, probablement parce que nous sommes unis par la même passion. Depuis l'ouverture, jamais je ne me suis levé un matin sans avoir envie d'aller travailler.»