Carole Hardy pensait pouvoir profiter de sa retraite pour décrocher, après presque 30 ans sur le plancher d'un magasin Sears. Ces jours-ci, elle se prépare plutôt à décrocher une ligne téléphonique à répétition dans le centre d'appel d'un câblodistributeur.

« C'est quoi, la retraite qu'on a, quand on est obligé de retourner travailler pour vivre ? », déplore-t-elle en entrevue.

Comme les 18 000 autres retraités canadiens de l'enseigne, la Trifluvienne a reçu un chèque de pension amputé du tiers pour le mois d'août. « Plusieurs centaines » de dollars en moins chaque mois, dit-elle, l'origine directe de son retour au travail à 61 ans. Et le scénario du chèque amputé se répétera pour les mois à venir.

La cause de cette retraite charcutée : le déficit de 267 millions qui minait le fonds de retraite de Sears au moment de sa chute, survenue en 2017-2018. L'entreprise canadienne en faillite, dont les derniers magasins ont fermé en janvier, avait profité de congés de cotisations dans la foulée de la crise financière de 2008.

Le contrôleur de l'entreprise en faillite s'est dit obligé de réduire les pensions versées aux retraités de 30 % pour les 20 prochains mois, puis de 19 % pour les mois subséquents.

« Je suis frustrée. Je trouve que c'est du vol à la cravate, s'est fâchée Mme Hardy devant la situation. J'ai des consoeurs de travail qui ont été obligées de s'endetter, d'emprunter des sous pour continuer à fonctionner. » Elle souligne que les retraités ont aussi perdu leurs assurances collectives - dentaires, vie et médicaments - depuis quelques mois.

« ÇA CHANGE MA VIE »

Plus haut sur la Saint-Maurice, Pauline Godin était à la retraite depuis 18 ans quand Sears a fermé ses derniers magasins au début de l'année. Elle avait commencé sa carrière comme caissière, mais l'avait terminée au service des ressources humaines.

« Déjà qu'on avait juste des petites pensions... J'ai 73 ans, je ne retournerai pas sur le marché du travail. Ça change ma vie, ça change mes données. Je m'étais fait un budget. Le budget, on n'y pense même plus. »

- Pauline Godin

Larry Moore, porte-parole de l'Association des retraités de Sears, affirme que Mmes Hardy et Godin sont loin d'être les seules à voir leur vie être chamboulée à partir de ce mois-ci. Lui aussi a subi la même perte.

« C'est possiblement une surprise pour une partie des retraités », a-t-il expliqué, soulignant tout de même les efforts importants de l'association pour informer ses membres. « Les gens sont en colère, ils sont déçus, ils sont anxieux face à l'avenir. »

Il rappelle que la perte des assurances semble moins dramatique qu'une réduction directe du chèque de pension, mais fait tout aussi mal, notamment à des aînés très âgés. « Ça affecte le budget dans deux sens : moins d'argent qui rentre et plus de dépenses », a-t-il dit.

« COMME LA LOTERIE »

Carole Hardy en veut aux gouvernements qui « cassent les oreilles » des travailleurs afin qu'ils investissent dans leur retraite. « On investit là-dedans pour se faire dire après que ce n'est pas protégé, a-t-elle regretté. Aujourd'hui, je n'ai pas le coeur de dire à mes enfants de mettre leur argent dans un fonds de pension. Parce que c'est comme la loterie ou la Bourse : tu ne sais pas combien il va en rester quand tu vas vouloir l'utiliser. »

L'Ontario a prévu dans son plus récent budget une mesure de protection pour les retraités de Sears : les 1500 premiers dollars de leur chèque mensuel sont maintenant garantis par le gouvernement provincial. Rien de tel n'a été mis en place au Québec.

M. Moore et ses camarades continuent de tenter de convaincre les gouvernements de mieux protéger les retraités de Sears et des autres entreprises tombées au combat alors que leur fonds de pension était déficitaire. Ce manque de protection, qui a aussi frappé de plein fouet les retraités de Nortel ou de certaines sociétés papetières, est « la base du problème ».

Devant les tribunaux, son groupe tente aussi de doubler les banques et les autres créanciers de Sears afin que la plus grande partie possible des 130 millions qui restent dans les coffres de l'entreprise soit consacrée à ses retraités.