La popularité croissante des géants du web comme Amazon, Airbnb et Netflix coûtera cher aux villes québécoises. L'Union des municipalités du Québec (UMQ) évalue que les difficultés du commerce de détail feront perdre de 500 à 700 millions en taxes foncières d'ici 2025. À l'aube des élections provinciales d'octobre, les villes entendent bien talonner les partis afin que le prochain gouvernement s'engage à moderniser la fiscalité municipale, « qui date d'un autre siècle ».

UN VIRAGE QUI FAIT MAL

Les villes appréhendent le contrecoup du virage numérique du commerce de détail. À l'ère des géants numériques, les commerces tenant boutique sur rue en arrachent. L'enjeu est de taille pour les municipalités, le commerce de détail représentant le quart des 13 milliards en taxes foncières qu'elles récoltent chaque année. Les villes disent déjà en ressentir les effets, alors que de nombreux centres commerciaux contestent leur évaluation municipale afin d'obtenir une baisse de taxes. « Ils disent qu'ils ont un moins grand potentiel de location et qu'ils sont obligés de baisser leurs loyers », résume le président de l'UMQ, Alexandre Cusson, lors d'une entrevue éditoriale à La Presse. Également maire de Drummondville, il est bien placé pour en parler, alors qu'un centre commercial a contesté son évaluation pour réduire sa facture.

FISCALITÉ D'UN AUTRE SIÈCLE

L'UMQ évalue ainsi que le virage numérique a coûté 65 millions aux villes en 2016 et que la facture s'alourdira avec le temps. D'ici 2025, le manque à gagner risque ainsi d'osciller entre 500 et 700 millions. Or, si les commerces paient moins de taxes, le coût des services ne diminue pas. « Personne ne nous a demandé d'avoir une piscine de moins, de fermer un aréna ou de ne plus déneiger le vendredi. Le coût des services demeure le même. Si on ne révise pas la fiscalité, ça va se répercuter dans le résidentiel », déplore M. Cusson. L'UMQ interpelle ainsi les partis provinciaux afin qu'ils s'attaquent au problème en 2019 durant la renégociation du pacte fiscal. « La fiscalité municipale date du siècle dernier, ce n'est pas du tout adapté au changement de l'économie », dit le président de l'UMQ.

DE LA PAROLE AUX ACTES

Les villes comptent bien profiter des élections d'octobre pour faire valoir leurs revendications. Lors de ses assises annuelles, du 16 au 18 mai prochains à Gatineau, l'UMQ dévoilera sa plateforme municipale en vue du scrutin. L'organisation continuera ses consultations tout au long de l'été afin d'en arriver à un sommet municipal qui réunira les chefs des principaux partis le 14 septembre, soit le lendemain du débat des chefs. « L'autonomie municipale doit être une priorité du prochain mandat. Le projet de loi 122 [ayant augmenté les pouvoirs des municipalités] l'a reconnu sur papier, maintenant quand on arrive au quotidien, on doit passer de la parole aux actes », résume Alexandre Cusson.

QUÉBEC DOIT DONNER L'EXEMPLE

Parmi les revendications, les villes inviteront le gouvernement à payer la totalité des taxes sur ses bâtiments, Québec ne payant qu'une fraction de la facture réelle pour les écoles, hôpitaux et édifices administratifs. L'UMQ évalue que les municipalités sont ainsi privées de 150 millions par an. Réclamant ces fonds depuis des années, les villes ont mal digéré de voir le gouvernement accorder une importante baisse de taxes scolaires.

« Avant de baisser les taxes scolaires de 670 millions, ça ne vous tentait pas de payer vos factures ? », dit Alexandre Cusson, président de l'UMQ.

MIEUX FINANCER LES TRANSPORTS EN COMMUN

Les villes réclament également une révision du partage des coûts d'exploitation des transports en commun. L'UMQ salue la volonté de Québec et d'Ottawa d'investir dans les infrastructures, mais « si on met plus d'autobus, on a besoin de plus de chauffeurs et de les entretenir. Ces investissements viennent créer une pression supplémentaire sur les coûts d'exploitation qui sont entièrement assumés par les usagers et le monde municipal. Il va falloir trouver un meilleur équilibre », dit M. Cusson. L'UMQ déplore également que Québec et Ottawa financent uniquement les infrastructures. En effet, les villes qui choisissent uniquement de sous-traiter se trouvent ainsi exclues. « Si ces villes se créaient une société de transport, l'augmentation des coûts serait plus importante que les subventions, alors elles décident de continuer à ne rien recevoir », se désole Alexandre Cusson.

PARLER DIRECTEMENT AVEC OTTAWA

Alors que Québec a étendu les pouvoirs des villes pour les considérer comme un « gouvernement de proximité », l'UMQ demande maintenant que les élus municipaux puissent traiter directement avec Ottawa. « Les villes veulent pouvoir parler avec le gouvernement fédéral sans se faire taper sur les doigts. Ce n'est pas une affaire de souverainistes/fédéralistes, c'est de savoir si on a les moyens de perdre du temps », dit Alexandre Cusson. Les villes disent en avoir assez d'attendre que Québec et Ottawa s'entendent pour toucher leur part des programmes fédéraux. Alexandre Cusson se rappelle une conversation avec l'ex-ministre Denis Lebel qui « disait pouvoir appeler le maire d'Ottawa et régler plein de dossiers, mais ne pas avoir le droit d'appeler le maire de Gatineau. Il faut avancer là-dessus. C'est du temps mal investi quand on est sur des guerres de clocher. »

DES MILLIONS DE DOLLARS INUTILISÉS

Ces délais font en sorte que des millions dorment alors que les besoins sont pressants. Le cas le plus patent est celui sur le financement des transports collectifs. Alors qu'Ottawa a prévu plus de 915 millions pour les projets au Québec, à peine 212 millions ont été engagés jusqu'à présent, soit le quart. Dans les autres provinces, les villes ont déjà atteint le cap des 80 %. Et ce n'est pas le seul exemple, souligne l'UMQ. Alors qu'un programme fédéral sur les changements climatiques avait prévu 30 millions pour les municipalités québécoises, « ça a pris des mois avant de se régler parce qu'on passe par Québec. Je comprends qu'on est une société distincte, mais ça [n'a] pas de sens », déplore M. Cusson.