Près de 50 ans après la création de Groupe Jean Coutu, c'est avec une teinte d'émotion que son fondateur a vu son fleuron quitter le nid familial, mercredi, afin d'unir sa destinée à celle de l'épicier Metro.

«J'ai fait mon possible et de mon mieux dans le milieu des affaires et ma profession», a lancé Jean Coutu, avec des trémolos dans la voix, en s'adressant aux actionnaires réunis en assemblée extraordinaire dans les locaux d'une firme d'avocats du centre-ville de Montréal.

Quelques minutes auparavant, l'offre d'achat de 4,5 milliards $ de Metro avait recueilli 99,99 % d'appuis, bien plus que les deux tiers nécessaires. Ce résultat était prévisible, puisque la famille Coutu contrôle environ 93 % des droits de vote.

Avec plus de temps libre devant lui, l'homme d'affaires de 90 ans compte désormais s'impliquer davantage dans la fondation Marcelle et Jean Coutu - dont la dotation dépasse les 500 millions $ - qui vient en aide aux plus démunis ainsi qu'à des femmes et des enfants maltraités, notamment.

Interrogé au terme de l'assemblée, M. Coutu n'a pas caché qu'il avait des sentiments partagés en cédant le contrôle de la chaîne de pharmacies qu'il a fondée en 1969.

«Lorsqu'on a un enfant qui s'en va (de la maison), cela fait de la peine, mais d'un autre côté, on se réjouit en se disant qu'il va réussir, a-t-il expliqué. Je lui ai donné les outils nécessaires pour réaliser une grande réussite.»

Metro propose 24,50 $ pour chaque action de Jean Coutu. 75 % du paiement devrait s'effectuer en espèces et le reste en actions de Metro. Groupe Jean Coutu pourra nommer deux des membres du conseil d'administration de l'épicier.

Annoncée il y a environ deux mois, la transaction - dont la clôture est prévue au printemps - doit encore obtenir le feu vert des autorités réglementaires.

La deuxième chaîne de pharmacies en importance au Québec deviendra une division de Metro et sera dirigée par François Coutu, le fils de son fondateur, depuis le siège social de Jean Coutu, à Varennes, en banlieue sud de Montréal.

Ce secteur intégrera les activités des pharmacies Brunet ainsi que les activités de distribution pharmaceutique de McMahon, deux entités qui appartiennent à Metro.

Percée ontarienne?

Le regroupement des deux entreprises devrait paver la voie à une expansion de Jean Coutu en Ontario, où elle n'exploite que huit établissements, a laissé entendre François Coutu.

«Nous avons une occasion avec 70 magasins Food Basics (qui appartiennent à Metro), a-t-il dit. C'est quelque chose que nous pouvons exploiter davantage que nous l'avons fait jusqu'à présent.»

Celui qui dirige actuellement Jean Coutu n'a toutefois pas précisé si une nouvelle enseigne pourrait faire son apparition en territoire ontarien et si l'on procédera à l'ajout de pharmacies dans des établissements distincts.

Aux actionnaires, le fondateur de la société a estimé que Groupe Jean Coutu aurait pu poursuivre ses activités de manière indépendante, mais que la tendance était à la consolidation et aux partenariats dans le milieu de la santé.

«C'est un peu comme pour les cliniques médicales au Québec, a dit Jean Coutu. Des médecins seuls, il y en a de moins en moins. Ce n'est pas parce qu'ils ne sont pas bons, mais parce qu'ils ont besoin d'être entourés.»

L'homme d'affaires a exprimé peu de regrets, estimant notamment que le repli américain effectué par Jean Coutu en 2006, quelques années après l'achat des pharmacies Eckerd, n'avait pas freiné la progression de la chaîne.

Néanmoins, la vente des actions dans la chaîne américaine Rite-Aid en 2013 a fait en sorte qu'une alliance avec Metro devenait plus logique étant donné que les autres options étaient rares. M. Coutu a indiqué que les deux entreprises avaient évoqué cette possibilité de façon informelle à quelques reprises au cours des sept dernières années avant d'entamer les négociations au printemps dernier.

«Je crois que nous avons pris la bonne décision avec Metro, a-t-il affirmé. Je ne veux pas dire que c'était la seule option, mais il s'agissait certainement de la meilleure.»

L'entreprise issue du regroupement générera des ventes annuelles d'environ 16 milliards $ et exploitera plus de 1300 supermarchés et pharmacies au Québec, en Ontario ainsi qu'au Nouveau-Brunswick. Des synergies évaluées à 75 millions $ devraient être réalisées au cours des trois prochaines années.

Cette transaction entre ces deux fleurons québécois survient dans la foulée d'une consolidation dans le secteur canadien de la pharmacie.

En 2013, les Compagnies Loblaw avaient annoncé une entente visant à acquérir la chaîne Shoppers Drug Mart - Pharmaprix au Québec - pour 12,4 milliards $. En avril dernier, c'était au tour de McKesson Canada d'avaler le Groupe Uniprix et ses 330 pharmacies.

Les détaillants font face à une concurrence croissante des grandes chaînes américaines comme Walmart et Costco ainsi que du géant Amazon, qui a effectué une percée dans l'alimentation avec l'achat de Whole Foods.