Les trois principales chaînes de supermarchés ont ordonné à leurs fournisseurs de geler ou d'abaisser leurs prix.

Ça joue dur dans le monde de l'alimentation. Et la pression est particulièrement forte sur les transformateurs. Metro leur impose un gel des prix sans fin connue, Sobeys (IGA) a décrété un gel momentané, tandis que Loblaw (Provigo, Maxi, Pharmaprix) réduit désormais de 1,45 % le montant des factures qui lui sont transmises.

Dans une lettre envoyée à « une vaste majorité » de fournisseurs à la fin du mois d'août et obtenue par La Presse, Metro explique qu'il n'acceptera plus de hausses de prix en raison du « contexte actuel du marché ». La chaîne affirme aussi que « plusieurs » facteurs économiques se sont « rétablis au cours dernières semaines », mais qu'il n'en a pas bénéficié.

Il n'a pas été possible de savoir à quoi Metro fait précisément référence. L'auteur de la missive, Serge Boulanger, vice-président principal, centrales nationales d'achats et marques privées de Metro, n'a pas voulu répondre à nos questions.

« Je ne crois pas qu'on ait besoin de donner plus de détails là-dessus publiquement. [...] On ne souhaite pas négocier sur la place publique. La démarche est respectueuse de nos partenaires d'affaires. » - Marie-Claude Bacon, porte-parole de Metro

Le même jour que Metro, Sobeys a annoncé à ses fournisseurs que les demandes de hausses de prix seraient rejetées du 21 novembre au 29 janvier prochain. Le détaillant précise toutefois qu'il pourra accorder des exceptions « seulement dans les cas de fluctuations de prix considérables sur le marché ».

Le 5 juillet, Loblaw avait annoncé assez brutalement à ses fournisseurs qu'à compter du 4 septembre, leurs factures seraient rognées de 1,45 %. L'entreprise ontarienne disait vouloir « combattre l'inflation en alimentation ». Deux jours plus tard, Overwaitea, une chaîne de l'ouest du pays, emboîtait le pas.

« Les actions posées ces derniers mois ont un impact certain sur la rentabilité et la viabilité de nos entreprises. Il y en a qui souffrent, c'est certain », a commenté Sylvie Cloutier, PDG du Conseil de la transformation alimentaire du Québec.

« APPEL À LA GUERRE »

Vu la popularité croissante de Costco et de Walmart en alimentation, le contexte n'est pas favorable à des hausses de prix dans les épiceries traditionnelles, convient Sylvain Charlebois, doyen de la faculté de management et expert du secteur agroalimentaire à l'Université Dalhousie. Il déplore néanmoins le fait que les supermarchés « généralisent de façon grossière » en mettant tous les transformateurs dans le même panier.

Car les réalités financières varient d'une usine à l'autre. Celles qui produisent des cretons et celles qui cuisent des desserts, par exemple, n'ont pas subi les mêmes fluctuations de coûts de leurs intrants : le prix du porc diminue depuis des mois, tandis que le prix du beurre et du sucre ont bondi.

L'universitaire estime que c'est « un jeu dangereux de demander aux fournisseurs de faire leur part ». Il qualifie même le message de Metro d'« appel à la guerre ». Les guerres, dit-il, sont « toujours défavorables à long terme pour les consommateurs ». Parce qu'à force de presser le citron des fournisseurs, « ils disparaissent et des oligopoles émergent ».

PERTES D'EMPLOIS DANS LE SECTEUR

En juillet, lors de l'annonce de Loblaw, Sylvie Cloutier craignait justement « des ventes d'entreprises, des fermetures » et des pertes d'emplois. Elle avait affirmé à La Presse qu'« au Québec, ça pourrait avoir un impact dramatique ».

Ses inquiétudes sont fondées, selon Sylvain Charlebois. « Depuis sept ou huit ans, on a vu plus de 150 fermetures d'entreprises au Canada [dans la transformation alimentaire]. Et 28 000 pertes d'emplois ». Au Québec, le nombre d'emplois du secteur (aliments, boissons et tabac) est passé de 69 361 en 2005 à 61 904 en 2014, selon le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation. Pendant ce temps, dans les magasins d'alimentation, le nombre d'emplois est passé d'environ 125 000 à 126 000.

Sous le couvert de l'anonymat, le PDG d'une usine qui dessert Metro et ses concurrents déplore le manque de pouvoir des petits fournisseurs face aux quelques grands distributeurs. « Les épiceries nous saignent. [Mais] on ne peut pas mettre nos culottes ! »

METRO EN BONNE POSITION FINANCIÈRE

Metro indique par ailleurs à ses fournisseurs qu'en réaction aux « fréquentes augmentions du prix coûtant » des dernières années, il a « implanté diverses stratégies de mise en marché qui ont eu pour effet de réduire [ses] marges bénéficiaires ».

Or, tant ses marges nettes que brutes ont plutôt eu tendance à augmenter depuis 12 trimestres, révèlent ses états financiers (voir tableau). Par ailleurs, la marge nette de Metro est deux fois plus élevée que la médiane de l'industrie, qui est de 1,9 %, selon Thomson Reuters.

Il n'a pas été possible d'obtenir, auprès de Metro, un exemple de stratégie ayant réduit ses marges.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, archives LA PRESSE

Le 5 juillet, Loblaw avait annoncé à ses fournisseurs qu'à compter du 4 septembre, leurs factures seraient rognées de 1,45%.