L'histoire débute à Montréal, en juillet 2011. Robert Niblock, président de Lowe's, rencontre Robert Dutton, alors président de Rona. Le géant américain admet qu'il n'a pas réussi son implantation au pays (depuis 2007) et qu'il a mal compris le marché canadien. Il demande ce qu'il est possible de faire ensemble pour contrer les aléas du marché actuel. À l'époque, la chute importante des mises en chantier provoque une baisse des ventes et des profits des détaillants en rénovation.

Achat dans l'air

Au cours de cette rencontre, la stratégie de Rona est simple : acheter la division canadienne de Lowe's. Les deux parties échangent sur la possibilité pour l'américaine d'avoir une participation minimale dans Rona. Les parties se quittent avec l'intention de se revoir rapidement à Mooresville, en Caroline-du-Nord où se trouve le siège social de Lowe's.

Changement de cap

Coup de théâtre, lors de la deuxième rencontre en août 2011 : Doug Robinson annonce que Lowe's veut acheter Rona ! Le VP des activités internationales dit que ses magasins canadiens sont rentables et qu'il souhaite investir massivement au pays. Robert Dutton offre plutôt d'acheter les magasins rentables de Lowe's et de gérer les autres magasins, pendant trois à cinq ans, pour les évaluer.

Grogne des actionnaires

En septembre 2011, Rona est informé que certains de ses investisseurs institutionnels hors Québec ont mandaté une banque d'affaires américaine pour rencontrer Lowe's. Ils souhaitent signifier au géant américain qu'ils appuieraient la vente du quincaillier québécois si une offre d'achat était déposée. Des membres du conseil d'administration de Rona pensent que cette nouvelle donne permet de comprendre le changement d'attitude de Lowe's.

Proposition d'achat

En décembre 2011, Lowe's passe à l'offensive. Elle présente une proposition écrite à Rona avec une fourchette de prix entre 9,50 $ et 11,50 $ l'action. Elle fait aussi des propositions concernant le siège social, le niveau d'emplois et les fournisseurs. Cette approche est rejetée à la fin janvier 2012 par le conseil d'administration de Rona. Les administrateurs et les dirigeants sont unanimes : le groupe n'est pas à vendre. Les échanges sont suspendus.

Nouvelle tentative

Six mois plus tard, en juillet 2012, Lowe's dépose une offre non sollicitée bonifiée à 14,50 $ l'action. La proposition est étudiée par les conseillers juridiques de Rona, Norton Rose et Davies, Ward, Phillips & Vineberg et par ses conseillers financiers, BMO et Scotia. Ils recommandent au conseil d'administration de Rona de la refuser.

Pression sur les politiciens

Les élections provinciales de septembre 2012 approchent. Afin de mettre de la pression sur les politiciens, qui ne voudront pas faire campagne sur le départ des sièges sociaux au Québec, Rona annonce à la fin juillet avoir reçu une offre d'achat de Lowe's. Le ministre libéral des Finances, Raymond Bachand, indique qu'il fera tout en son pouvoir pour protéger Rona, un « actif stratégique » pour le Québec. 

Échec de Lowe's

Déçu et amer, Doug Robinson, responsable des négociations pour Lowe's, retire son offre le 19 septembre, une semaine après l'élection qui a chassé les libéraux du pouvoir. Le dirigeant n'avait pas anticipé l'opposition unanime à son offre. Victime de sa méconnaissance de la réalité d'affaires au Québec, Lowe's rentre dans ses terres. Plusieurs de ses dirigeants se promettent de ne plus présenter de dossier d'acquisition pour Rona. Mais le goût reviendra assez vite...

Changement de garde

Pendant ce temps, plusieurs constatent que le dossier Rona prend beaucoup de place dans le bureau du PDG de la Caisse, Michael Sabia, même s'il s'agit d'un investissement relativement modeste dans l'ensemble du portefeuille. En novembre, il convoque Robert Dutton pour l'aviser qu'il a un plan. Deux jours plus tard, à la surprise générale, Rona annonce le départ de M. Dutton à titre de président. Le chef de la direction financière, Dominique Boies, assure l'intérim.

Nouvelle direction

En janvier 2013, Robert Chevrier, président du conseil d'Uni-Sélect, devient président du conseil de Rona. Au cours des 24 prochains mois, il passera plusieurs jours par semaine dans les bureaux de Rona pour mettre de l'avant son plan de transformation, qui se traduira par d'importantes réductions de coûts.

Nouveau président

En mars, Robert Chevrier annonce la nomination de Robert Sawyer à la présidence. Chef des opérations de Metro et spécialiste des activités de détail et de distribution, M. Sawyer est appelé à jouer un rôle clé dans l'application du plan. Cette nomination est un baume pour celui qui a vu la présidence de Metro lui échapper aux mains d'Éric R. La Flèche en 2008. Pour sa part, Dominique Boies, qui souhaitait énormément transformer son intérim en poste permanent, retourne aux finances.

La donne change

Doug Robinson n'abandonne pas son idée d'acheter Rona. Il souhaite même rencontrer Robert Chevrier dès que possible. Mais avant de le faire, il pose un geste d'ouverture qui change la donne. En février 2013, il nomme un Québécois président de la division canadienne de Lowe's : Sylvain Prud'homme, qui a travaillé pour Loblaws, Sobey's et Super C.

Une question de prix

La rencontre se tient au cours de l'été 2013. Doug Robinson montre de nouveau son intérêt. Robert Chevrier souligne que le plan de redressement de Rona est en marche, mais précise qu'il ne peut empêcher Lowe's de présenter une offre d'achat. Il précise toutefois que, pour être intéressant, le prix offert par action devra être largement supérieur à celui de 2012... La discussion s'enlise. Pas question pour M. Robinson d'augmenter substantiellement le prix de l'action.

PHOTO Paul Chiasson, Archives La Presse Canadienne

Robert Sawyer est nommé PDG de Rona en mars 2013. Ce spécialiste des activités de détail et de distribution était auparavant chef des opérations de Metro.

Coup du sort

À la fin de 2014, le destin frappe Doug Robinson. Une grave maladie l'oblige à quitter son poste. Il est aussitôt remplacé par Richard D. Maltsbarger. Les quatre nouveaux acteurs sont maintenant en place : M. Chevrier et M. Sawyer pour Rona et M. Maltsbarger et M. Prud'homme pour Lowe's. La représentation peut commencer

Main tendue

L'arrivée de Sylvain Prud'homme redynamise la filiale canadienne et amène Lowe's à rebâtir des ponts avec Rona. Le contact se refait sur des bases plus positives au début de 2015. Richard D. Maltsbarger laisse entendre à Robert Chevrier qu'il est possible de faire une transaction. Mais le géant américain veut éviter une répétition de l'échec de 2012.

Des discussions secrètes

Au cours de l'été 2015, Robert Chevrier tient une rencontre avec Robert A. Niblock, le grand patron américain, dans un lieu tenu secret, dans la région de Mooresville, en Caroline-du-Nord. Par la suite, c'est Richard D. Maltsbarger qui prend le relais des négociations. Suivront plusieurs appels entre les deux hommes et de nombreuses rencontres, au Québec et aux États-Unis.

L'heure des garanties

Avant de parler de prix, Lowe's se concentre sur les garanties à offrir à Rona. À l'ordre du jour, on discutera de la protection du siège social de Boucherville, des fournisseurs qui pourront offrir leurs services dans tout le réseau nord-américain, de planchers d'emplois, du maintien des enseignes. Reste à savoir toutefois si tout cela sera respecté.

La touche finale

Profitant d'un dollar canadien dévalué, les Américains augmentent la mise. En novembre 2015, Richard D. Maltsbarger et Robert Chevrier s'entendent sur une offre d'achat à 24 $ l'action, soit 3,2 milliards. L'offre est rendue publique le 3 février. Il s'agit d'une prime de 104 % sur le prix de clôture de la veille. M. Chevrier a obtenu le prix « wow » qu'il souhaitait. Les actionnaires de Lowe's sont de son avis. À la suite de l'annonce, le cours de l'action du détaillant américain recule de plus de 6 %...

photo Patrick Sanfaçon, La Presse

Richard Maltsbarger, président de Lowe's International et Robert Chevrier, président du C.A. de Rona.