Un nouveau commerce ouvre ses portes aujourd'hui tout près du marché Jean-Talon, mais le maire de l'arrondissement François Croteau ne fêtera pas cette arrivée. «J'aurais préféré un autre type de commerce», dit-il.

Qui est ce nouveau voisin qui dérange? La multinationale Starbucks, qui ouvrira son premier café dans la Petite Italie dans un local donnant sur le marché Jean-Talon. Son arrivée n'est pas appréciée de tous: un groupe de citoyens a fait circuler une pétition sur l'internet contre la présence de la multinationale de Seattle au marché Jean-Talon. Plus de 8500 personnes l'ont signée. Starbucks n'a jamais vu une telle opposition au Canada.

«Nous avons été surpris, dit Nash Abdrabo, directeur régional de Starbucks au Québec. Mais nous avons fait des tournées dans le marché et nous avons été très bien reçus. Nous croyons fortement en ce magasin.» Pour convaincre ses détracteurs, Starbucks insiste sur «ses valeurs et sa mission». «Nous travaillons avec les fermiers et les agriculteurs de façon éthique et humaine partout à travers le monde, dit M. Abdrabo. Nous offrons des salaires équitables et des avantages sociaux à tous nos employés, dont 80% habitent le quartier.»

Selon le maire de l'arrondissement de Rosemont-La Petite-Patrie, François Croteau, les valeurs de Starbucks peuvent difficilement se marier à celles du marché Jean-Talon, qui «met en valeur les produits locaux, l'artisanat, la découverte des saveurs d'ici».

«C'est très simple: on veut garder le marché authentique, on ne veut pas de chaînes. Ce n'est pas Starbucks, c'est le fait d'industrialiser le marché», renchérit Stéphane Deblois, propriétaire de la Brûlerie Aux Quatre Vents, un café situé à l'intérieur du marché Jean-Talon.

Deux coins de rue plus loin dans Villeray, les propriétaires du Café Larue&Fils ne s'inquiètent pas outre mesure de l'arrivée de Starbucks. «C'est un concurrent pour nous, mais c'est une raison de plus d'affirmer notre unicité. La grande différence, c'est que nous reconnaissons nos clients», dit Charles Ugo Boucher, copropriétaire du Café Larue&Fils.

Libre marché

L'entrepreneur de 32 ans n'a pas exactement le profil pour dénoncer une multinationale. Avant d'ouvrir son café de quartier il y a six ans, il était conseiller en placements. «Je ne peux pas m'opposer [à l'arrivée de Starbucks], j'ai toujours été pour le libre marché, dit M. Boucher. Mais est-ce que Starbucks sera bon pour le quartier? Pour son tissu social, je ne pense pas.»

Les cafés de la Petite Italie et de Villeray ne pensent pas perdre beaucoup de clients au profit de leur nouveau voisin. «Depuis que mes parents ont ouvert le café en 1956, beaucoup de cafés ont été ouverts, et nous sommes toujours là», dit Luciana Serri, propriétaire du Caffè Italia, situé à quelques minutes de marche dans la Petite Italie.

«Le café, c'est aussi une question de goût. Je ne suis pas inquiet pour mes affaires», dit Stéphane Deblois, de la Brûlerie Aux Quatre Vents.

Dans ce débat, Starbucks reste diplomate. «Nous croyons qu'il est possible pour les cafés indépendants et pour nous de faire déguster différentes saveurs [aux Québécois]», dit Nash Abdrabo. L'entreprise souligne aussi qu'elle a fait appel à plusieurs produits locaux - une murale de l'artiste Mélissa Del Pinto, des étagères de bois naturel de l'entreprise De Gaspé - pour aménager son 85e café au Québec.

Starbucks collaborera aussi avec plusieurs organismes communautaires; les recettes générées entre 17h et 19h aujourd'hui seront versées à la Maisonnette des parents.

Pétition et juridiction

Les citoyens - qui ont choisi de garder l'anonymat - à l'origine de la pétition la remettront bientôt à Starbucks et au maire d'arrondissement. Mais ce dernier estime avoir les mains liées: l'intérieur du marché Jean-Talon a beau être administré par la Corporation des marchés publics de Montréal, Starbucks s'est installé dans un immeuble privé au coin des rues Casgrain et Jean-Talon, qui donne sur le marché mais qui échappe à la juridiction de l'organisme.

Selon M. Croteau, la loi permet à l'arrondissement d'interdire un commerce uniquement pour des motifs architecturaux. Il aimerait que cette loi provinciale soit modifiée pour ajouter d'autres critères dans le cas d'aires patrimoniales comme le Vieux-Montréal et possiblement le marché Jean-Talon. «Mais un tel pouvoir serait bien encadré, dit-il. Je ne veux pas que l'État puisse dire: «On n'aime pas cette chaîne-là, elle ne s'installe pas là.».»

Le maire de Montréal Denis Coderre ne tient pas à s'immiscer dans le débat de Starbucks au marché Jean-Talon. «L'arrondissement a choisi de permettre ce genre de commerces à proximité du marché Jean-Talon, c'est l'une de ses prérogatives», dit son attachée de presse Catherine Maurice.

«Sans inciter au boycott», François Croteau espère que les consommateurs continueront d'encourager les autres cafés de quartier. Lui-même n'ira pas au Starbucks. «C'est une question de goût, dit-il. Je suis un amateur de bon café. Il y a déjà des cafés de bien meilleure qualité et typiques du quartier.»