«On est à la croisée des chemins, reconnaît Alain Brunet. On va devoir faire une transformation commerciale aussi importante que celle qu'on a faite en 2000.»

Alain Brunet occupe le poste de président et chef de la direction de la SAQ seulement depuis le début de 2014, mais personne ne connaît mieux cette entreprise que lui. Il y est entré comme caissier à temps partiel, il y a 33 ans, et n'en est jamais ressorti.

Il était là, en 2000, quand la SAQ a pris un virage commercial sous l'impulsion de son président Gaétan Frigon. Il était là aussi avant, lors de la longue période au cours de laquelle la SAQ gérait la décroissance, avec des fermetures de magasins et des mises à pied.

«On s'est réinventé en 2000. On a fait grandir le réseau, et c'est ça que ça prenait. Mais là, on est rendu dans un autre cycle.»

Le virage commercial a fait son temps, la multiplication des rabais aussi, comme l'indiquent les résultats décevants de la SAQ pour 2013-2014. Le profit net de l'exercice a baissé de 2,62% et les ventes de vin en volume, qui comptent pour 80% des revenus de la SAQ, ont diminué pour la première fois de son histoire. La société d'État n'a pas livré le dividende attendu par le ministre des Finances.

Faire les choses différemment

«Le commerce de détail a tellement évolué, constate Alain Brunet. Ça nous oblige à faire les choses différemment.»

Faire les choses différemment, pour la SAQ, ça signifie prendre le virage web à fond. Dès le début de 2015, ses clients pourront faire leurs achats à la maison, à l'heure qui leur convient, les payer et passer en prendre livraison à leur succursale gratuitement si le total de leurs achats dépasse 75$.

Dans une deuxième étape, le service sera étendu aux applications mobiles, ce qui permettra d'autres types de transactions. Par exemple, après avoir goûté un vin au restaurant, le client pourra l'acheter et le payer sur-le-champ avec son téléphone, puis aller le chercher près de chez lui plus tard.

Dans le jargon du commerce de détail, ça s'appelle click & collect et click & drive-thru-store (ou encore «retrait express»). «C'est le nouvel axe de croissance de la SAQ, assure son président. Ça va augmenter les ventes et les profits.»

La SAQ a déjà investi une quarantaine de millions de dollars dans sa nouvelle stratégie. Alain Brunet explique que le scénario prévoit une croissance de base de 2%, liée à la croissance économique. Le virage web et les autres initiatives commerciales prises par la SAQ se traduiront par une augmentation supplémentaire de ses ventes de 1%, 2% ou 3%.

Moins de pieds carrés

La SAQ veut faire plus de ventes en ligne, mais elle n'a pas l'intention de fermer de magasins. «Au contraire, peut-être qu'il y aura moins de pieds carrés, mais il n'y aura pas moins de magasins, il y en aura peut-être plus.»

Les magasins vont changer. Ils offriront encore toute la gamme de produits de la SAQ, mais certains de ces produits ne seront plus sur les tablettes. Ils pourront être commandés sur place ou sur l'internet et livrés au client à sa succursale.

Cette façon de faire permettra d'augmenter l'offre de produits, selon Alain Brunet.

«Sur tous les produits qu'on a en vente, il y en a peut-être 1000 qui prennent la poussière. On n'a pas besoin d'avoir tout ça en magasin. Si on peut faire une offre virtuelle combinée avec moins de présence physique des produits, on peut augmenter l'offre.»

La SAQ a 12 500 produits différents. Ce nombre pourrait augmenter à 20 000 ou 25 000, estime le président.

La SAQ fait le pari que sa nouvelle stratégie internet amènera plus de clients dans ses magasins et vers ses conseillers en vins. «Le service-conseil, c'est notre grande force et ça va le rester.»

Moins de rabais

Critiquée de toutes parts pour les prix de plus en plus élevés qu'elle pratique, la SAQ a recommencé à garnir ses tablettes de vins moins chers. Selon son président, c'est normal de s'ajuster aux besoins des consommateurs. «On ne réagit pas aux critiques, on réagit à ce que veut le consommateur, ce qui évolue tout le temps.»

Le prix des vins n'est pas trop élevé au Québec, assure Alain Brunet. «Quand on se compare, on est dans la bonne moyenne», soutient-il.

Les vins les moins chers se vendent de moins en moins, selon lui. «En bas de 12$, c'est une part de marché qui diminue sans cesse. Ce qui prend le dessus, c'est en haut de 15$.»

Cette évolution de la clientèle pousse la SAQ à délaisser les rabais qui ont fait son pain et son beurre au cours des dernières années. «Il va falloir faire beaucoup de ménage là-dedans. Il y aura moins de rabais, c'est sain pour l'industrie, c'est sain pour tout le monde.»

C'est déjà commencé. «On a moins de rabais que l'an passé et on fait mieux que l'an passé.»

Après sept mois dans l'exercice en cours, les ventes sont en hausse de 4% comparativement à l'an dernier. Et cette année, le ministre des Finances aura les 10 millions de plus qu'il a demandés à la SAQ, assure Alain Brunet.

Forces

• Un marché captif

• Vaste choix de produits

• Expertise de vente

Faiblesses

• Marché mature

• Stagnation économique

• Exigence de rentabilité en hausse