En mai 2014, Target admettait qu'il avait des problèmes graves au Canada. Le détaillant américain avait d'ailleurs congédié celui qui a géré son expansion au nord du 49e parallèle. La Presse Affaires avait alors demandé à des professeurs de gestion les leçons que pouvaient tirer des gestionnaires des ratés de Target. Voici leurs réponses.

Comprendre la situation concurrentielle

«L'implantation dans un nouveau marché géographique représente une décision stratégique capitale, associée à des risques importants. Il est crucial de comprendre la situation concurrentielle à laquelle l'entreprise fera face dans ce nouveau marché. Sera-t-elle le premier venu? Est-ce que d'autres concurrents sont déjà bien implantés dans ce marché? Est-ce que ceux-ci travaillent à développer des barrières à l'entrée, rendant l'accès à ce nouveau marché plus ardu?» - Deny Bélisle, professeur de marketing et responsable de la maîtrise en communication marketing, Université de Sherbrooke

Assumer ses responsabilités

«Target est un bel exemple pour démontrer les difficultés de transformer une opportunité de marché en part de marché suffisante et rentable. Parfois, il est plus difficile d'avoir du succès dans des marchés à proximité, justement parce que l'on occulte les différences et que l'on se limite aux apparentes similarités. C'est aussi un exemple d'imputabilité: la personne responsable en assume la responsabilité, et ses conséquences. [NDLR: Target a toujours admis qu'il avait déçu les Canadiens; le président américain et le président canadien ont été congédiés].» - Louis Hébert, professeur titulaire de stratégie et codirecteur, EMBA McGill-HEC Montréal, HEC Montréal

Connaître les différences

«Les firmes étrangères, surtout les américaines, ont tendance à tenir pour acquis que la proximité culturelle et géographique des Canadiens et des Américains se traduit par une certaine uniformité des pratiques d'affaires, voire des goûts des consommateurs. Rien n'est plus faux. En effet, bien que les chaînes de valeur canado-américaines soient très intégrées dans une foule d'industries, il subsiste de petites différences [réglementaires, institutionnelles, etc.] qui peuvent avoir des répercussions importantes.» - Yan Cimon, professeur agrégé, département de management, Faculté des sciences de l'administration, Université Laval

Le mythe de l'uniformisation

«Les difficultés de Target au Canada illustrent bien les limites du mythe de l'uniformisation de la société de consommation et, par extension, de l'uniformité des cultures. Franchissez une frontière et les pratiques de consommation, les sensibilités au prix et à la qualité, les attentes vis-à-vis de l'expérience d'achat sont différentes... À une époque où la mondialisation semblait s'imposer, on assiste à un retour flagrant du local, et finalement à une revanche de la culture et de l'identité. Savoir vendre aujourd'hui, c'est en permanence revalider la pertinence de ses produits et services en se projetant dans l'expérience vécue par ses clients. Assurer la pérennité de son organisation, c'est aussi faire preuve d'humilité et tout simplement, parfois, poser à ses clients la question: comment peut-on vous aider?» - Laurent Simon, professeur agrégé, service de l'enseignement du management et codirecteur Mosaic-pôle créativité et innovation, HEC Montréal

Effectuer une analyse comportementale

«Une bonne analyse des comportements des consommateurs est primordiale afin d'assurer le succès de cette implantation. Une erreur fréquente est de supposer que ces nouveaux consommateurs auront les mêmes goûts, préférences et comportements que les consommateurs présents dans le marché original. Il aurait été vital pour Target de comprendre les spécificités des consommateurs canadiens afin de développer des stratégies de prix et de marchandisage mieux adaptées à la clientèle canadienne.» - Deny Bélisle, professeur de marketing et responsable de la maîtrise en communication marketing, Université de Sherbrooke

Communiquer sa différence

«Il est impératif pour toute entreprise qui explore l'entrée dans un nouveau marché d'étudier la stratégie de ses adversaires et d'être capable d'identifier et de communiquer clairement son élément différenciateur seul et unique à sa nouvelle clientèle. Comprendre les éléments de différenciation valorisés par les consommateurs et ne pas présumer de les connaître n'est jamais un luxe, même si l'on est une grande entreprise qui a fait ses preuves dans des marchés très compétitifs.» - Soumaya Cheikhrouhou, professeure de marketing, Université de Sherbrooke

L'importance de l'exécution

«Posséder un excellent plan stratégique ne saurait constituer une garantie de réussite. Si cet outil est essentiel pour les dirigeants, il n'en demeure pas moins que ces derniers sont jugés à l'aulne de leurs résultats. Les opérations sont cruciales à la création de valeur non seulement dans le commerce de détail, mais aussi dans plusieurs autres industries. Dans ce contexte, l'exécution stratégique revêt une importance particulière. Walmart est reconnue pour son excellence opérationnelle qui lui permet de maîtriser sa structure de coûts avec beaucoup de doigté pour atteindre un niveau d'efficience inégalé. Pour sa part, Target a connu des ratés dans sa gestion des stocks qui lui ont fait supporter des coûts supplémentaires.» - Yan Cimon, professeur agrégé, département de management, Faculté des sciences de l'administration, Université Laval