Il se fait désormais appeler «Steph» par ses employés. Il a adopté la mode décontractée typique de la Californie. Mais celui qui s'est démarqué à la haute direction de Couche-Tard et de Dollarama au cours des 15 dernières années n'est pas moins rigoureux et acharné au travail qu'avant. Ses objectifs sont clairs, son plan de match l'est aussi.

Stéphane Gonthier ne s'en cache pas: il déteste donner des entrevues. Et préfère se tenir loin des projecteurs. Au point qu'il ne souhaite même pas recevoir de prix. Il répond pourtant à nos questions avec générosité et sait exprimer sa pensée avec beaucoup de clarté. Quand on lui en fait la remarque, après avoir discuté près d'une heure et demie, il s'empresse de répondre que cette entrevue sera quand même sa seule avant «très, très longtemps».

Plutôt que de vouloir devenir un gestionnaire-vedette, le diplômé en droit préfère bondir d'un défi à un autre. Celui qui aurait pu succéder à Alain Bouchard, chez Couche-Tard, ou à Larry Rossy, chez Dollarama, a préféré déménager à Los Angeles pour diriger la chaîne de magasins à bas prix 99¢ Only Stores.

Il ne se souvient plus du jour où il a reçu l'appel lui annonçant qu'il était pressenti pour le poste de président. Mais n'est pas prêt d'oublier le moment où il a annoncé son départ de chez Dollarama. «C'est très, très, très difficile de quitter une organisation quand on travaille avec une équipe qui a du succès et du plaisir. On les laisse tomber, en quelque sorte.»

Mais, à 47 ans, il avait hâte d'être à la tête de 99¢ Only Stores, qui venait d'être privatisée. «Pour moi, c'est le défi d'un nouveau marché, d'une nouvelle entreprise, d'une transformation.» Le détaillant réalise en effet des ventes appréciables (plus de 1,5 milliard dans la dernière année)... mais aucun profit.

Destination fraîcheur

Les marges sont très faibles, explique Stéphane Gonthier «à cause des frais d'exploitation et de la forte proportion des ventes de produits frais». Contrairement à Dollarama, 99¢ Only Stores vend «tous les fruits et légumes» grâce à la proximité de ses magasins avec le Mexique qui facilite l'approvisionnement. «Nous vendons des tonnes de bananes à 49¢ la livre. On est une destination pour les fruits et légumes, une destination fraîcheur.»

Cela ne changera pas. Mais l'offre doit être diversifiée pour que 99¢ Only Stores soit une entreprise «plus performante, plus efficace selon tous les paramètres. Ventes, marges, frais d'exploitation, BAIIA, bénéfice net». Qu'elle soit «l'une des meilleures de l'industrie».

Deux mois après son arrivée, un premier coup de barre a été donné. Plus de 40% des cadres ont été congédiés et certains, remplacés. «C'était une décision très difficile. Mais quand on change les objectifs d'une entreprise, souvent, les compétences en place ne répondent plus aux besoins de l'entreprise.» Il a aussi mis fin à la vente en ligne, une activité «qui n'a pas de potentiel dans l'industrie des magasins à 1$».

Les recettes de Dollarama

Stéphane Gonthier a ensuite entrepris la première étape de son plan: augmenter la hauteur des tablettes de 54 à 78 pouces. Ce n'est pas un détail. L'espace vendant a ainsi crû de 45%! Ce changement physique permettra à la deuxième phase du plan de fonctionner: accroître le nombre de produits importés. Pour le moment, seulement 6% des ventes proviennent de produits fabriqués à l'extérieur des États-Unis. Chez Dollarama, c'est plus de 50%.

Stéphane Gonthier veut ajouter des articles saisonniers (Noël, Halloween, Pâques) et des produits de marque privée aux marges de profit plus élevées, deux stratégies qui ont démontré leur efficacité chez Dollarama. Il évalue aussi la possibilité d'adopter une politique de prix multiples similaire à celle de son ex-employeur, ce qui pourrait faire bondir les ventes.

Fort potentiel de croissance

Parallèlement, l'expansion se poursuivra dans 4 États (Californie, Texas, Arizona et Nevada) qui regroupent 2 fois plus de personnes (72 millions) que le Canada (35 millions). «C'est un marché qui permet une croissance soutenue pendant 5, 7 ou 10 ans, à raison de 35 à 40 magasins par année.»

À elle seule, la Californie compte plus de résidants que le Canada, et le nombre de magasins à 1$ y est plus faible qu'au Canada, fait valoir Stéphane Gonthier. «Il y a un très fort potentiel à capturer», croit le gestionnaire, même s'il s'agit d'un État où il y a «encore plus de règles [normes du travail, environnement] qui compliquent la vie des entreprises qu'au Québec» et où tout coûte cher (essence, loyers, salaires).

Tout cela, visiblement, l'emballe. «Jouer et travailler, pour moi, il n'y a pas de différence. Ça s'appelle une passion. Je veux livrer [des résultats], mais je ne suis pas stressé. J'aime ce que je fais. Dans toute ma vie, travailler n'a jamais été une corvée.»

Son parcours

> 1989 Il est admis au Barreau après avoir terminé son baccalauréat en droit à l'Université de Montréal. Il deviendra ensuite associé du cabinet Lozeau Gonthier Masse Richard.

> 1998 Il joint Alimentation Couche-Tard à titre de vice-président, affaires juridiques, opérations pétrolières, et secrétaire.

> 1999 Il est nommé vice-président, exploitation, Est du Canada.

> 2000 Il termine son EMBA à l'Université de Sherbrooke.

> 2004 Il est promu vice-président principal, Est de l'Amérique du Nord.

> 2007 Il passe chez Dollarama à titre de chef de l'exploitation.

En septembre 2013 il est recruté par 99¢ Only Stores où il occupe le poste de président et chef de la direction.

Le gestionnaire, selon Gonthier

«J'embauche des gens heureux. Les gens heureux sont de meilleurs gestionnaires. On est donc partis à la recherche des meilleurs gestionnaires heureux dans les meilleures organisations!»

«Les meilleurs gestionnaires suivent leur instinct et y ajoutent de la science pour prendre la bonne décision.»

«Quand on vient d'ailleurs, l'information qu'on reçoit est filtrée de façon différente. Il faut faire attention à la façon dont on la lit pour éviter les biais culturels.»

Que sont les 99¢ Only Stores?

Chaîne de magasins à bas prix

Fondation: 1982 Siège social: City of Commerce (près de Los Angeles)

Employés: plus de 14 000, dont 250 au siège social

346 magasins dans 4 États

246 en Californie

47 au Texas

35 en Arizona

18 au Nevada

Tout y est vendu 99¢, à l'exception de quelques produits moins chers.

On y trouve des aliments frais (fruits, légumes, produits laitiers, oeufs) ainsi que des produits saisonniers et divers articles pour la maison.

La chaîne écoule aussi des excès de stocks de manufacturiers, qui s'ajoutent aux 4500 produits réguliers.

Après avoir été en Bourse, le détaillant a été privatisé en 2012 par ses propriétaires actuels: Ares Management (gestionnaire de placements non traditionnels de Los Angeles) et l'Office d'investissement du Régime de pensions du Canada (OIRPC).

En quête de rentabilité

Résultats financiers de l'exercice 2014 (44 semaines terminées le 31 janvier 2014*)

Ventes: 1,53 milliard

Ventes comparables": + 3,7%

Ventes par magasin: 5,4 millions

Ventes au pied carré: 330$

BAIIA ajusté: 120,5 millions

Perte nette: 12,5 millions (contre 8,9 millions)

* L'exercice ne comprend pas 52 semaines parce que l'entreprise a changé la date de fin de son année financière pour qu'elle concorde avec celle de ses concurrents.

" Ventes des magasins ouverts depuis au moins un an.