La plus grande entreprise du monde n'aurait pas pu entrer au Canada sans en bouleverser le paysage. Ce qui devait se produire... s'est donc produit. Les choses ont changé. Mais pour le mieux, notent les experts du secteur.

«Quand la nouvelle est arrivée, ça a surpris tout le monde, se rappelle l'ex-PDG du Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), Gaston Lafleur. Ça a provoqué beaucoup d'appréhensions, d'effervescence, d'inquiétudes. Certains détaillants envoyaient leurs employés par autobus à Plattsburgh pour voir c'était quoi, un Walmart.»

Aucun autre détaillant américain n'avait encore orchestré au Canada une telle expansion.

En quelques mois, Walmart [[|ticker sym='WMT'|]] allait ouvrir des dizaines de magasins d'un océan à l'autre, grâce à l'acquisition de 120 des 142 magasins Woolco, exploités par Woolworth. Au Québec, 20 adresses sur 23 sont retenues. Dans les trois qui sont écartées - Beauport, Lévis et Valleyfield -, les employés sont syndiqués (TUAC). Si le sort des travailleurs ne fait pas les manchettes, il en va autrement des craintes des détaillants et de leurs actionnaires.

«Derrière cette acquisition se profile une véritable révolution. La taloche administrée aux actions des grandes entreprises canadiennes de commerce au détail en constitue le retentissant prélude. En trois jours, les actions de La Baie ont reculé de 18%, celles de Canadian Tire, de 13%, celles de Sears Canada, de 6%», peut-on lire dans La Presse du 20 janvier 1994, soit 6 jours après l'annonce de la transaction (qui sera approuvée par le gouvernement deux mois plus tard).

Pour expliquer le phénomène Walmart à ses membres, le CQCD invite à Montréal un professeur d'université américain qui s'intéresse au détaillant. Des commerçants d'aussi loin que Sept-Îles prennent l'avion pour assister à la conférence. «Ça montre à quel point il y avait de l'intérêt!», lance Gaston Lafleur.

Le grand paradoxe

À l'époque, les détaillants craignent les «méthodes prédatrices» de Walmart qui a la réputation de s'installer dans les petites villes et de faire fermer tous les commerces. Et ils n'ignorent pas que Walmart a comme objectif de faire passer les ventes des anciens Woolco de 100$ à 300$ le pied carré. «Certains ont craint une forme d'impérialisme américain, une dépossession de l'unité nationale», rappelle Marc D. David, spécialiste en gestion de l'image de marque et de la réputation à l'Université de Sherbrooke.

«Ça peut sembler paradoxal, mais finalement, ça a bénéficié au secteur qui a été forcé de s'améliorer, de se restructurer [...]. Ça a amené une plus grande discipline et un plus grand contrôle dans les organisations. Tout ceci à la satisfaction des consommateurs», note Gaston Lafleur, qui a passé 25 ans dans le secteur du détail.

Aucune vague de fermetures dans les mois ou les années qui ont suivi l'ouverture des magasins Walmart n'a fait la une des journaux. Si certaines enseignes ont disparu (Wise, Peoples, Eaton, K-Mart, Kresge) ou perdu des parts de marché, on ne peut dire que Walmart en est l'unique coupable.

«Un qui avait peur, c'était Canadian Tire, surtout parce que Walmart avait des Tire&Lube [des garages], se souvient Renée Dubé, associée chez Zins Beauchesne, une firme d'experts-conseils en marketing et planification stratégique.

Le détaillant ontarien a rénové et agrandi ses magasins, en plus d'élargir sa gamme de produits. On y trouve aujourd'hui une plus vaste sélection de produits nettoyants, d'articles pour la cuisine et d'équipements sportifs.

«On ne peut pas dresser un bilan négatif: c'est une grande entreprise qui s'adapte et qui définit les normes», croit JoAnne Labrecque, experte en commerce de détail à HEC Montréal.

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LE DEUXIÈME CHOC: LES SUPERCENTRES

Deux décennies après l'ouverture de son premier magasin au Canada, Walmart provoque encore de sérieuses secousses chez les détaillants. Ces temps-ci, ce sont les supermarchés qui subissent le plus la vive concurrence du mastodonte américain en raison de la multiplication des Supercentres. En 2014, Walmart investira 500 millions au Canada, ce qui lui permettra notamment d'inaugurer 35 magasins avec épicerie complète. Au total, 1 million de pieds carrés seront ajoutés dans son réseau (" 2%). Cette expansion, conjuguée à l'arrivée de Target et à la multiplication des Costco, mettra encore plus de pression sur les trois grands épiciers que sont Loblaws, Sobeys et Metro, étant donné la faible croissance de la population. «On a ébranlé leurs marges de profit. Ce n'est pas pour faire une guerre de prix, c'est notre mission à nous [d'avoir des bas prix]», dit Chantal Glenisson, qui observe «plus d'agressivité dans les circulaires» et «plus de cartes de fidélité». Le premier Supercentre du Québec a ouvert ses portes à l'été 2011, à Laval. Le Québec en compte maintenant 26.

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20 ANS D'EXPANSION

Nombre de magasins au Canada

1994 > 122

1995 > 125

2002 > 200

2008 > 300

2014 > 389 (DONT 68 AU QUÉBEC)

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DES FORMULES CÉLÈBRES

«La madame était contente»

L'expression issue d'une publicité de Walmart est carrément entrée dans le langage populaire des Québécois, en 1995. Les formules accrocheuses qui réussissent ce tour de force sont très rares, affirment alors les experts en pub qui analysent le phénomène. Le succès populaire est tel que Radio-Canada reprend le message pour vendre son Bye Bye, et Rock et Belles Oreilles conçoit une parodie mémorable. L'employée en vedette dans la publicité, Françoise Bisson, devient une vedette que les émissions de télé invitent.

«Associé»

Avant 1994, les personnes qui travaillaient dans les magasins étaient appelées des employés. Chez Walmart, on utilise plutôt le mot «associé», même si les travailleurs n'en sont pas dans le sens juridique du terme. L'appellation a eu tellement de succès que cet usage s'est répandu chez Bureau en gros, Réno-Dépôt et Winners, entre autres.

«EDLP»

L'abréviation de «Everyday Low Price» (bas prix de tous les jours) fait aujourd'hui partie du langage courant des détaillants. Elle n'a pas d'équivalent en français. À son arrivée au Canada, Walmart ne faisait pas de soldes ponctuels, rappelle JoAnne Labrecque, experte en commerce de détail à HEC Montréal. D'ailleurs, c'est ce que la publicité avec «la madame était contente» visait à faire comprendre aux consommateurs: inutile de faire des réserves, nos prix sont bas tous les jours. Aujourd'hui, Walmart propose - en plus de ses bas prix quotidiens - des chutes de prix qui durent en moyenne six semaines, précise Chantal Glenisson, vice-présidente de l'exploitation de Walmart au Québec.

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FORMAT GÉANT

100 milliards

Total versé à des fournisseurs canadiens

200 millions

Somme donnée à des organismes de charité

1 milliard

Bonus versés aux employés

100 000

Nombre de produits en magasins

150 000

Nombre de produits en ligne

1,2 million

Nombre de clients par jour

300 000

Nombre de visiteurs sur walmart.ca chaque jour

95 000

Nombre d'employés (dont 13 000 au Québec)

Source: Walmart Canada