D'entrée de jeu, la nouvelle présidente de Fruits & Passion, Kyung Rhee, met cartes sur table. Dans deux ans, elle retournera vivre à Séoul et cédera les rênes de l'entreprise à un Québécois. À son avis, une entreprise doit être dirigée par des gestionnaires locaux.

Mais pour le moment, sa présence au Québec est essentielle pour faire le pont entre «deux cultures très différentes». Il y a six mois, une filiale de la multinationale coréenne LG a mis la main sur la PME établie à Candiac. Avec son expérience de travail en France - dans le secteur des cosmétiques -, son français parfait et ses origines coréennes, Kyung Rhee semble être la personne idéale pour piloter l'intégration.

Arrivée de Séoul l'été dernier, elle ambitionne de redonner son lustre à Fruits & Passion et remettre l'entreprise sur la voie de la croissance. La marque, de toute évidence, a été négligée par son ancien propriétaire américain, SC Johnson. Le nombre de points de vente est passé de 2000 à 111, en quelques années. «La marque s'est diluée au fil des ans», regrette Kyung Rhee, qui nous accordé sa première entrevue au Canada.

Elle ne tente pas de camoufler ni de minimiser les problèmes de Fruits & Passion. Par exemple, elle admet que la marque n'a pas su communiquer adéquatement avec les communautés «urbaines et cosmopolites» que sont Toronto et Vancouver. Avec la concurrence américaine plus forte au Canada anglais qu'au Québec, les résultats déçoivent. Une dizaine de boutiques seront donc fermées au cours de la prochaine année. Les locaux seront repris par TheFaceShop. Cette autre enseigne de LG devrait être plus adaptée à ces marchés; elle attire des clientes «au moins 10 ans plus jeunes» grâce à ses prix inférieurs de 25 à 50% à ceux de Fruits & Passion.

Le plan

«En Asie, le secteur de la parfumerie est peu développé. Mais c'est en forte expansion. C'est d'ailleurs pour cela qu'on a acheté Fruits & Passion. C'est une transaction qui nous apporte cette expertise», souligne Kyung Rhee, qui ambitionne d'amener les produits québécois parfumés dans quelques pays d'Asie. L'expansion bénéficiera de l'expertise et des moyens colossaux de LG. La Corée et les autres pays autour accueilleront-ils des boutiques franchisées? La gamme de produits sera-t-elle vendue dans les grands magasins? La stratégie n'a pas encore été déterminée. Les États-Unis sont aussi dans la ligne de mire.

Il faut dire que les derniers mois ont été forts occupés avec l'intégration des systèmes informatiques, effectuée par une équipe venue de Corée. Parallèlement, il fallait trouver de nouveaux fournisseurs pour éviter les ruptures de stock. Car l'usine, dans le même édifice que le siège social à Candiac, s'apprêtait à fermer (150 pertes d'emplois). Cette décision avait été prise par SC Johnson, ce qui explique pourquoi la fabrication ne faisait pas partie de la transaction avec LG.

Jusqu'ici, quatre fournisseurs ont été recrutés. Tous situés dans la région de Montréal, «par principe», insiste la PDG. «Fruits & Passion est une entreprise québécoise. Par principe, il est important que ses produits soient faits ici. C'est dans son ADN.» Si l'expertise manque au Québec, il se pourrait que l'entreprise se tourne vers l'Asie ou la France, comme c'est déjà le cas pour ses diffuseurs électriques qui proviennent du Portugal. Mais ça demeurera l'exception, jure-t-on.

Au Québec, il n'est pas question de fermer des boutiques puisqu'il y a un «sentiment d'appartenance» envers la marque. Elles subiront plutôt une cure de rajeunissement. L'exercice a déjà commencé. Des formatrices ont été recrutées pour former les employés qui peinent à décrire la personnalité de Fruits & Passion, de l'aveu même du grand patron. Les échantillons feront leur retour. Le portefeuille de produits sera revu.

De nouveaux articles moins chers seront ajoutés dans les prochains mois pour élargir la base de la clientèle. Mais il n'est pas question de changer le positionnement de la marque pour l'abaisser. À Toronto, une femme «qui a 20 ans d'expérience dans le secteur» a été embauchée pour faire croître le marché canadien-anglais.

Comprendre l'essence

Kyung Rhee dit vouloir «s'inspirer de ce qui fait l'originalité de la marque pour aller de l'avant». Et ses valeurs. D'ailleurs, pour bien comprendre l'essence et l'origine de l'entreprise fondée en 1992, elle est allée aux sources. «J'ai rencontré le fondateur Jean Hurteau, il y a un mois, pour qu'il me raconte, autour d'un thé, comment il a créé Fruits & Passion. Je voulais connaître ses passions, ses valeurs.»

Elle voulait tout saisir, dans le détail. Jusqu'aux raisons qui expliquent le grand succès du savon pour les mains Cucina à la coriandre et aux olives. La fragrance du produit le plus populaire de Fruits & Passion l'étonnait. «Monsieur Hurteau m'a dit qu'en cuisine, on ne veut pas mélanger des odeurs de fleurs avec des odeurs d'aliments...»

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«Nous n'avons pas acheté la marque pour la tuer»

Toute acquisition vient avec une période d'intégration qui s'avère plus ou moins difficile. Quand une entreprise coréenne achète des mains d'Américains une PME établie au Québec et qu'il faut de surcroît composer avec la fermeture de l'usine principale, les risques de ratés sont décuplés.

Kyung Rhee ne prétend pas que tout s'est bien passé, malgré la venue de Corée d'équipes (informatique, finances, logistique) ayant comme mandat d'effectuer la transition entre SC Johnson et LG. Le système informatique a flanché. Résultat, des commandes passées en ligne n'ont jamais été livrées.

En plein temps des Fêtes, la grogne des clients n'a pas mis de temps à s'exprimer sur les médias sociaux.

Fin janvier, des clientes se plaignaient encore sur Facebook de ne pas avoir de nouvelles des commandes passées le 2 janvier. D'autres déploraient les ruptures de stock. Fruits & Passion confirme que des produits se sont retrouvés en rupture de stock à cause de la fermeture de l'usine, même si des réserves avaient été faites.

«Malheureusement, je me dois de vous écrire sur Facebook puisque je n'arrive jamais à discuter avec le service clientèle qui semble être une boîte vocale», s'offusquait une femme insatisfaite. «Depuis qu'ils ont vendu la compagnie aux Coréens tout tourne de travers et est tout croche. Ils sont en train de détruire cette belle compagnie», dénonçait une autre.

«Ça m'a fait de la peine de lire ça, a réagi Kyung Rhee quand nous lui avons lu certains commentaires trouvés sur les médias sociaux. Nous n'avons pas acheté la marque pour la changer complètement ou la tuer. Ça n'a aucun sens. Elle est en perte de vitesse, mais nous avons de grands moyens pour la relancer.»

Rien ne semble avoir échappé aux clients de Fruits & Passion. La caisse enregistreuse de la boutique du Carrefour Laval n'a pas fonctionné pendant deux semaines, a raconté une cliente qui voulait rendre un achat. «Nous jugeons nous aussi que c'est une situation inacceptable, dit la porte-parole de l'entreprise, Marlène Couture. Nous travaillons d'ailleurs sur un nouveau système de caisse.»

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FRUITS & PASSION EN BREF

1992: Fondation par Jean Hurteau, sa femme France Ménard et son frère Guy Hurteau.

2006: La Société générale de financement acquiert 30% du capital action.

2008: L'entreprise est vendue à l'américaine SC Johnson.

2013: Vente des activités de détail à TheFaceShop, filiale de LG, de Corée.

Octobre 2013: Fermeture de l'usine de Candiac (qui ne faisait pas partie de la transaction).

Siège social: Candiac

111 points de vente dans 5 pays (dont 79 boutiques au Canada)

Nombre d'employés: 562 au Canada, dont 80 au siège social

Ventes: confidentielles

Profil de Kyung Rhee

> Présidente et chef de la direction de Fruits & Passion depuis l'été 2013.

> A travaillé pour L'Oréal (France), Estée Lauder (États-Unis) et LG (Corée).

> Diplômée en sciences politiques à Paris et en droit de l'Université de Lille en France.