Jean Coutu admet qu'une partie de sa clientèle est partie voir si l'herbe n'est pas plus verte chez le voisin depuis l'arrivée au Québec de Target, à la mi-septembre. Une infidélité qui a contribué à faire reculer les ventes comparables dans sa section commerciale (tout ce qui n'est pas vendu sous ordonnance) pour la première fois depuis l'automne 2010.

Les pharmacies Jean Coutu n'ont pas pu échapper à l'effet Target, qui a provoqué une sérieuse guerre de prix et de parts de marché.

«Il y a un effet domino. Les gens [les détaillants] ne veulent pas perdre de ventes, donc les épiceries, les pharmacies et les grandes surfaces sont plus agressives», constate le grand patron de Jean Coutu, François J. Coutu.

Sa rivale Pharmaprix a multiplié les offres en lien avec sa carte Optimum, offrant régulièrement des points d'une valeur de 25$ à l'achat de 75$. «C'est sûr qu'il y a une guerre de prix. On regarde les circulaires chaque semaine, et je peux vous dire que c'est féroce. [...] Les plus petites enseignes comme Uniprix et Familiprix sont beaucoup plus agressives qu'avant. Walmart, Super C, Maxi aussi. Tout le monde s'est passé le mot pour ne pas perdre de clientèle», a affirmé le dirigeant, en entrevue avec La Presse Affaires.

«Deux gros joueurs se battent, Target et Walmart, et tout le monde est affecté. [...] Le défi est de réagir à ce qui se passe. L'important pour les détaillants est de savoir qui s'en va [pour faire des offres visant la rétention] et à quel endroit l'impact se fait sentir», note JoAnne Labrecque, experte en commerce de détail à HEC Montréal.

Face à l'abondance de rabais alléchants, le consommateur s'est «un peu promené, et on ne peut pas le blâmer», résume François J. Coutu, qui se félicite de ne pas avoir «perdu de loyauté en ce qui concerne les ordonnances». «Je pense qu'à long terme, les clients vont nous être fidèles. On offre une certaine commodité, une proximité... qui fait qu'on va les garder chez nous.»

Le butinage chez les concurrents a heurté les ventes «de pas mal tout dans le magasin» au cours du trimestre terminé le 30 novembre. De tout ce qui est vendu dans la partie commerciale, que ce soient les couches, le shampoing, les cosmétiques ou les produits nettoyants. Seuls les articles saisonniers comme les fournitures scolaires et d'Halloween ont fait «un peu mieux».

Au final, le nombre de transactions dans la partie avant des pharmacies a reculé de 4%, nous a indiqué le vice-président aux finances, André Belzile, qui n'avait pas divulgué publiquement la donnée. Ce résultat est contrebalancé par une hausse moyenne du panier moyen de 3,5%.

Quant à la baisse des ventes derrière le comptoir du pharmacien, elle s'explique surtout par une plus forte pénétration des produits génériques, vendus moins cher que les produits d'origine. Le nombre de prescriptions est en hausse de 4% (magasins comparables).

«Initiatives stratégiques dynamiques»

Pour ramener ses brebis au bercail, Jean Coutu promet de «poursuivre la mise en oeuvre [de ses] initiatives stratégiques.»

Le détaillant prévoit notamment étendre son réseau de pharmacies dans de plus petites communautés. «Avant, le minimum était de 10 000 personnes, mais on a réalisé qu'avec 5000, on pouvait encore faire de très bonnes affaires. Surtout que dans ces milieux-là, souvent, il y a davantage de personnes âgées qui prennent plus de médicaments», explique François Jean Coutu.

Les pharmacies y seront environ deux fois plus petites (de 5000 à 7000 pieds carrés au lieu de 10 000). Autre possibilité de croissance: l'acquisition d'entreprises dans le secteur de la santé. Jean Coutu est déjà propriétaire de Medicus et d'Oxybec Santé-confort, qui vendent des orthèses et des prothèses.

L'entreprise de Longueuil compte aussi sur ses marques privées, «qui étaient un peu dormantes», pour «mieux compétitionner avec les magasins à 1$ et les magasins à escomptes», souligne François J. Coutu. Une nouvelle gamme de 100 produits vendus entre 1 et 3$ a été mise en marché. Cette stratégie n'aura pas d'effet positif sur le chiffre d'affaires, étant donné que les produits sont vendus moins cher, mais elle permettra de maintenir le niveau de profitabilité.

Depuis l'été dernier, Jean Coutu a aussi commencé à vendre des produits surgelés comme de la pizza et des repas Weight Watchers. Des congélateurs ont pris place dans une dizaine de pharmacies jusqu'ici. Une trentaine en seront bientôt équipés.

Le titre de Jean Coutu [[|ticker sym='t.pjc.a'|]] a terminé la journée d'hier en baisse de 14 cents, à 18,49$.

«Conserver la loyauté des clients»

Quels sont les défis des pharmaciens franchisés?

- Perry Caicco, de Marchés mondiaux CIBC

S'assurer qu'ils conservent la loyauté de leurs clients puisque l'offre des concurrents est très présente. Le plus important est de garder la clientèle dans le secteur des prescriptions. C'est là-dessus que nous voulons construire l'avenir. La section commerciale est plus affectée par la concurrence, mais je suis convaincu qu'on va regagner cette clientèle éventuellement puisque nous offrons une meilleure solution à long terme.

Quel serait un taux de croissance raisonnable des dépenses pour l'exercice 2015?

- Chris Li, de Bank of America Merrill Lynch

Tout cela dépend beaucoup de l'expansion de la superficie de vente que nous ferons. Vous pouvez faire votre propre évaluation sur ce point. [...] C'est difficile à dire, car si nous acquérons de nouveaux magasins qui louent leur local, cela peut avoir un impact sur cette ligne. Ça dépend des occasions d'affaires qui se présentent.

Votre bilan est excellent, vos flux de trésorerie sont positifs, même après le dividende spécial. Pendant combien de temps êtes-vous prêt à maintenir ce bilan ayant un faible effet de levier (sans dette), considérant qu'il n'y a pas beaucoup de possibilités d'acquisition?

- Michael Van Aelst, de TD Valeurs mobilières

Nous préférons redéployer le capital vers la croissance de l'entreprise, mais la bonne occasion doit se présenter. Entre-temps, nous poursuivons sérieusement l'acquisition de pharmacies indépendantes. Nous sommes peut-être même un peu plus agressifs qu'avant en voyant que nous sommes plus rentables sur des marchés secondaires. Nous voulons garder notre leadership dans ces marchés. Nous ne voulons pas rester assis sur une pile d'argent, si elle est inutile pour nous. Notre objectif est vraiment d'augmenter non seulement nos ventes, mais aussi nos profits et nos marges. Notre principal objectif est d'accroître la rentabilité et si nous n'avons pas besoin de capital, alors nous sommes prêts à le rendre aux actionnaires comme nous l'avons fait récemment encore.

* Source: Bloomberg. Certains propos ont été résumés pour faciliter la compréhension du texte.

Photo Le Quotidien

François Jean Coutu, président et chef de la direction des pharmacies Jean Coutu.