Portrait de trois magasins Target présents dans trois villes d'Ontario.

Milton

> Ville de 85 000 habitants, à 40 km à l'ouest du centre-ville de Toronto. Target se trouve dans un centre commercial défraîchi de taille moyenne.

Le Milton Mall ne paie pas de mine. Plutôt défraîchi, il compte 65 magasins bas et moyen de gamme, une poignée de locaux vides et une aire de restauration déprimante. Pour son directeur général, Stuart Hathaway, l'arrivée de Target est une excellente nouvelle. «Le fait que nous ayons accueilli un magasin-pilote nous a fait de la publicité additionnelle et les locataires étaient contents qu'un pilier revienne pour générer de l'achalandage [vu la fermeture du Zellers l'an dernier].» L'effet escompté s'est produit: le stationnement est plus rempli et les détaillants «voient de nouveaux visages», soutient le dirigeant. Dans le Hallmark Cards voisin du Target, la dame d'un certain âge qui s'occupe du magasin n'est pas d'accord. «Je pense qu'il y a moins de monde chez Target qu'il y en avait chez Zellers.» Mais cela n'a eu aucun impact sur les ventes de «son» commerce, assure Jessie. Une cliente en train de payer s'empresse d'ajouter que le Target d'à côté «n'est pas du tout pareil aux magasins américains». «Aux États-Unis, quand on entre, on peut acheter du popcorn et des hot-dogs. Ça sent le carnaval. Ici, ils ont mis un Starbucks et je ne suis pas une adepte. J'y suis juste allée deux fois depuis que c'est ouvert et je n'ai rien acheté. Aux États-Unis, c'est plus chaleureux», tranche Dale Wagner, qui déplore aussi le manque de choix. «Moi, j'ai acheté des romans Harlequin à 25% de rabais. Ils y sont moins chers que chez Walmart!», poursuit Jessie, fière d'avoir su dénicher pareille aubaine. «Mais c'est la seule chose que j'ai achetée.» Un peu plus loin, dans le magasin de sacs et de valises Bentley, une jeune vendeuse rapporte que Target n'a pas eu d'impact sur l'achalandage du centre commercial ni sur ses ventes. «Mais avant d'acheter, mes clients vont voir les prix chez Target», dit Hasina. Personnellement, elle aime les marques exclusives de cosmétiques de l'enseigne américaine, surtout ses vernis à ongles, la seule chose qu'elle s'y soit procurée. «Au début, il y avait tellement d'employés qu'ils saluaient les clients aux deux pieds! Aujourd'hui, ils sont moins nombreux, mais le service demeure très bon et les caisses libre-service sont rapides.»

Fergus

> Fergus petite communauté de 19 000 habitants, à 115 km au nord-ouest de Toronto. Target (magasin isolé, ou stand alone) est entouré de restaurants et de petits commerces, d'un supermarché et d'un Canadian Tire.

Bien malin celui qui pourrait évaluer l'impact de Target à Fergus. La petite communauté de 19 000 âmes a vu deux géants américains débarquer depuis neuf mois. D'abord Walmart, dans le nord de la ville (en novembre), puis Target, dans le sud (mars).

Le sympathique centre-ville où s'alignent les immeubles historiques est maintenant pris entre ces deux concurrents de taille. «Ça a rendu les détaillants du centre-ville nerveux», admet Jackie Frazer, présidente du conseil d'administration de Downtown Fergus Business Improvement Area, association des entreprises du centre-ville. Autre coup dur: la LCBO (équivalent ontarien de la SAQ) a quitté le centre-ville en mars pour se coller sur le Walmart. Et comme si ce n'était pas assez, le pont qui enjambe la rivière est fermé pour cause de travaux et l'un des employeurs importants de la ville, l'usine A.O. Smith, a cessé ses activités en juin, ce qui a laissé 350 personnes sans emploi. «Les ventes de tout le monde sont en baisse, mais on ne sait pas si c'est à cause du pont en construction, de la LCBO, de la conjoncture économique, de Walmart ou de Target», énumère la femme d'affaires, propriétaire d'une épicerie fine remplie de produits locaux. Lors de nos deux visites du Target, un mercredi, les clients étaient très peu nombreux. Le Starbucks était vide. Mais une caissière nous a indiqué que la veille, «c'était un zoo, c'était bondé». Selon un gérant du Canadian Tire qui partage le même stationnement, l'achalandage est «similaire ou peut-être légèrement supérieur» au temps où c'était un Zellers. Rencontrées à leur sortie du Target, une jeune maman et sa belle-mère étaient néanmoins très satisfaites de leur première virée dans le magasin. Elles avaient conduit une heure pour s'y rendre, dans l'espoir de dénicher un ensemble de blocs Lego introuvable chez Walmart et dans les boutiques spécialisées. «Ça valait le coût de faire le voyage. On a trouvé ce qu'on cherchait et il y avait aussi des vêtements de maternité intéressants. Je vais revenir pour Noël», prédit Melissa.

Guelph

> Guelph ville universitaire de 122 000 habitants, à 90 km à l'ouest de Toronto. Le magasin Target n'est pas rattaché à d'autres commerces. Mais quelques grandes surfaces (Future Shop, Canadian Tire), des restaurants et un grand centre commercial se trouvent à proximité.

Les tablettes du Canadian Tire de Guelph sont remplies d'étiquettes rouges. Elles signalent les soldes du propriétaire, ces rabais qui s'ajoutent à ceux dictés par le siège social (étiquettes jaunes). Simple hasard? À quelques jours de l'arrivée en ville de 10 000 étudiants, la réponse est non. «Pour nous, c'est Noël. C'est notre semaine la plus occupée de l'année. Les ventes bondissent de 50%», raconte le propriétaire Rick Pointon.

Il faut aussi dire que, depuis six mois, l'homme d'affaires a un nouveau voisin du nom de Target. De son commerce, il regarde la grosse cible rouge d'un air soucieux et attentif. «On n'a pas encore vu le meilleur de Target...» Le propriétaire raconte comment la direction de Canadian Tire a réagi quand elle a appris que Target s'en venait au pays. «C'était comme si le ciel venait de nous tomber sur la tête. Ils pensaient pratiquement que nous allions faire faillite!», relate Rick Pointon. Car on aurait tort de croire que les deux détaillants ne sont pas en concurrence. Tous deux vendent de petits électroménagers, des articles de cuisine, de décoration et de rangement, des produits nettoyants et des articles pour les animaux. Tel que l'avait anticipé la direction, l'impact s'est fait sentir. Mais la baisse des ventes n'aura duré que «les deux premières semaines». Et le centre de jardinage, ouvert quelques semaines après l'arrivée de Target au début du mois de mars, a même profité de l'achalandage généré par Target. «Étant donné qu'ils n'avaient rien dans cette catégorie ou presque, je voyais les gens traverser le stationnement à pied et se rendre dans mon centre de jardin. Ç'a été très bon pour nous.» Après avoir été voisin d'un grand local vide pendant 18 mois (le temps que Target rénove l'ancien Zellers), Rick Pointon apprécie l'achalandage généré par le nouveau venu. Lors de notre passage, il y avait effectivement un flot continuel de clients qui entraient et sortaient de Target, le plus souvent avec des achats dans les mains. Il faut dire que la démographie de Guelph est favorable au détaillant, qui a la réputation d'avoir des clients plus éduqués et plus riches que ceux de Walmart. Le centre commercial Road Mall, qui se trouve à deux minutes de voiture du Target, aurait bien aimé accueillir la grande surface, confie son directeur général, Tony Stapley. Depuis l'inauguration de la grande surface, ses locataires subissent une baisse d'achalandage de 5%. «Mais ce n'est peut-être pas juste Target, c'est peut-être la hausse des taux d'intérêt et la baisse de confiance des consommateurs», analyse le dirigeant.