Pas moins de 54 immeubles comptant plus de 3500 unités résidentielles sont en construction au centre-ville de Montréal. D'après les calculs de la Ville, il y aura donc 5200 bouches additionnelles à nourrir dans le quartier d'ici quelques années. Un bond considérable qui s'ajoute à la hausse de 6,5% de la population que connaît l'arrondissement de Ville-Marie depuis 2006. L'offre alimentaire suit-elle la cadence?

L'épicier Adonis (majoritairement détenu par le géant Metro) s'est justement installé, la semaine dernière, près de l'ancien Forum pour profiter de la manne. «On a décidé de s'établir ici parce qu'il n'y a pas beaucoup d'épiceries au centre-ville. Avant, il n'y avait pas beaucoup de résidants, mais il y en a de plus en plus. Avec tous les condos qui se construisent, ce n'est plus juste un lieu de travail, mais aussi un lieu de vie», souligne Elie Cheaib, cofondateur et copropriétaire de l'entreprise.

Spécialisé dans les aliments méditerranéens, le marché Adonis se trouve à mi-chemin entre la Place Alexis-Nihon, qui abrite un IGA sur le point d'être rénové, et un supermarché Provigo (à 200 m). À quelques pas de là se trouve aussi le supermarché indépendant PA, établi dans une ancienne salle de quilles de la rue du Fort depuis 2001. «Il y a une grande densité autour de notre épicerie, se réjouit son copropriétaire, Sam Erimos. Le ghetto du Fort, comme on l'appelle, est le quartier de Montréal le plus dense. Et il va y avoir de plus en plus de monde!» Un autre indépendant, Mourelatos Gourmet, se trouve quelques rues à l'est.

Tous les secteurs de Montréal ne sont pas aussi bien desservis. Aucun des trois grands acteurs présents au Québec (Loblaw, Sobeys, Metro) n'est présent dans le kilomètre carré au coeur duquel se trouve la Place Ville Marie, où plusieurs tours sortent de terre. La dernière ouverture à proximité des tours de bureaux, celle d'un Metro Plus rue Notre-Dame Ouest (angle de la Montagne), remonte à 2008.

À 17 minutes de marche de l'emblématique gratte-ciel en croix, l'épicerie du quartier Griffintown est un peu loin pour aller chercher une portion de pâté chinois pour le dîner. Idem pour le Provigo sur l'avenue du Parc au nord de Sherbrooke, à 14 minutes de marche.

«Nous avons été chanceux de pouvoir acheter un immeuble pas trop cher. Mais pour des épiceries qui ont de petites marges, les loyers au centre-ville sont trop élevés. C'est pour ça que les grandes chaînes préfèrent la banlieue. Adonis va trouver ça plus difficile de faire des affaires [rue Sainte-Catherine] qu'ailleurs», croit Sam Erimos, qui déplore l'absence de concept urbain à Montréal comme on en voit à Toronto (Sobeys Urban Fresh, par exemple), Londres (Tesco express) et Paris (Monop').

Nouvelles habitudes

«On voudrait davantage d'épiceries au centre-ville, mais il y a de moins en moins de place pour construire des commerces urbains», note JoAnne Labrecque, experte en commerce de détail à HEC Montréal. Elle prévoit néanmoins une augmentation du nombre de points de vente urbains étant donné que les habitudes de consommation ont «beaucoup changé depuis une décennie».

Outre l'accroissement de la population en partie attribuable au retour en ville des baby-boomers, les valeurs écologiques encouragent les consommateurs à faire leurs courses à pied et les jeunes travailleurs ne s'attablent plus autant dans les restaurants que les générations précédentes pour manger le midi, car ils préfèrent demeurer devant leur ordinateur, énumère l'universitaire.

«Rappelez-vous quand IGA a ouvert au Complexe Desjardins, en 2001, dit-elle. C'était révolutionnaire. On se demandait si ça allait survivre!» Le commerce a si bien fonctionné que sa propriétaire Louise Ménard en a ensuite ouvert un similaire dans la Place Dupuis.

Les épiceries changent elles aussi. Elles offrent désormais un vaste éventail de repas chauds, de sandwichs gourmets et de sushis qui leur permet de concurrencer les restaurants et rend leur présence en ville pertinente. D'ailleurs, Adonis a pris bien soin d'exposer son offre de prêt à manger dans l'entrée de son commerce de la rue Sainte-Catherine Ouest, vu le potentiel de cette catégorie. Son voisin Provigo a aussi placé ses fruits coupés, ses salades et ses pizzas dans les premiers mètres après la porte.

Dans le quartier Griffintown, en pleine explosion, les résidants auront prochainement accès à une deuxième épicerie du groupe Metro, rue Peel. Le président Éric Richer La Flèche a affirmé à La Presse Affaires ne pas savoir encore si elle adoptera les couleurs de Metro ou d'Adonis. Elie Cheaib dit qu'il veut «voir les résultats de l'épicerie de la rue Sainte-Catherine avant de décider» et que le choix sera fait «en partenariat avec Metro». IGA et Loblaw (Provigo et Maxi) n'ont pas annoncé de nouveau projet dans ce quartier ni au centre-ville.

Par contre, Loblaw vient d'acquérir la chaîne Pharmaprix. «Ça lui donne de nombreux emplacements au centre-ville. Je ne vois pas pourquoi ils n'y vendraient pas plus de nourriture, surtout qu'ils veulent prendre un virage santé. Les concurrents devront réagir. Avec tous les projets au centre-ville, ça vaut le coût d'y ouvrir une épicerie», souligne JoAnne Labrecque.