Les condos poussent comme des champignons le long du canal de Lachine, le marché Atwater est en pleine effervescence, mais le boom que connaît l'arrondissement du Sud-Ouest ne profite pas à tous ses commerces. Des dizaines d'antiquaires tenaient autrefois boutique dans le quartier. Et aujourd'hui, ils se meurent.

Le quartier Griffintown est en pleine mutation. Les chantiers de construction et les projets immobiliers se multiplient. Rue Notre-Dame, des tours résidentielles modernes projettent leur ombre sur de vieux bâtiments industriels. Mais chez André L'Écuyer, antiquités, le temps est resté figé.

Des lustres accrochés au plafond éclairent à peine le petit local. Dans la pénombre, on distingue de belles valises beiges, assez vieilles pour avoir pris la mer à bord du Titanic. Une quinzaine de cannes décorées d'or et de pierres scintillent dans un présentoir de verre.

André L'Écuyer a lancé son petit commerce il y a 15 ans. Il a vu son chiffre d'affaires fondre de moitié au cours des dernières années. Il est toutefois l'un des chanceux: plusieurs de ses collègues ont été obligés de fermer.

«C'est plate, confie-t-il. Moi, ça fait un bout de temps que je suis là et j'ai vu beaucoup de mes "chums" partir.»

Les brocanteurs ont commencé à s'établir ici dans les années 60. À cette époque, l'ouverture de la Voie maritime du Saint-Laurent a provoqué une cascade de fermetures d'usines le long du canal de Lachine. Les banques ont saisi les meubles de centaines de chômeurs endettés. C'est ainsi que le «Quartier des antiquaires» est né.

Au fil des ans, la rue Notre-Dame est devenue incontournable pour les touristes et les locaux en quête de trouvailles. À la fin des années 80, on comptait une centaine d'antiquaires le long de l'artère, entre les rues Guy et Atwater. Il en reste moins d'une quarantaine aujourd'hui. Et cinq tiennent des ventes de fermeture.

«Depuis les années 2000 à 2006, il y a eu un déclin total», constate Monique Le Menn, conseillère au Regroupement économique du Sud-Ouest (RÉSO).

L'internet...

Le commerce des antiquités souffre de l'essor de l'internet. De plus en plus d'acheteurs se tournent vers la Toile pour dénicher la pièce unique pour décorer leur maison. L'appréciation du dollar canadien rend les antiquaires montréalais moins attrayants pour les acheteurs américains. La mise en valeur de l'arrondissement du Sud-Ouest entraîne aussi une hausse importante des loyers commerciaux.

Mais ce n'est pas tout. Les tendances en matière de design d'intérieur ont changé. Les intérieurs éclectiques sont maintenant en vogue, et rares sont ceux qui vont entièrement meubler leurs maisons avec des antiquités. Les plus fortunés vont plutôt acheter une magnifique pièce ancienne et l'insérer dans un ensemble contemporain.

Résultat: les antiquaires vendent de moins en moins.

«Les nouveaux condos exigent quasiment zéro meuble dans les espaces, indique Monique Le Menn. Je ne crois pas qu'il va y avoir une reprise de cette industrie. Pour les quelques antiquaires en difficulté que je fréquente, je ne vois pas où leur marchandise pourrait aboutir, sinon dans des encans, à l'extérieur du Canada.»

Les antiquaires ont survécu pendant des années en louant leur marchandise à des producteurs de films. Mais encore là, les nouvelles technologies permettent de créer des meubles et des accessoires virtuels.

Ceux qui s'en sortent sont ceux qui réussissent à se démarquer, estime André L'Écuyer. Cet antiquaire se spécialise dans les malles et les cannes. Plusieurs de ses pièces ne sont même pas à vendre : il plus rentable de les louer. «C'est comme dans n'importe quel autre commerce, il faut être à l'avant-garde de ce qui se passe, indique Francis Lord, propriétaire de Milord Antiquités. Ce n'est pas parce qu'on vend des antiquités qu'il ne faut pas comprendre que certaines choses qui se vendaient il y a cinq ans et ne se vendent plus nécessairement aujourd'hui.»

Par exemple, cet homme d'affaires a cessé de vendre des ensembles de porcelaine et d'argenterie. Ces objets, qu'il faut polir et entretenir avec minutie, ne cadrent plus avec le style de vie décontracté de ses clients.

M. Lord a par ailleurs ouvert des points de vente à New York et dans le Connecticut. Il part régulièrement à des festivals et des foires afin de vendre ses pièces.

«Moi, je m'en sors parce que je travaille avec le marché américain, résume-t-il. Ce n'est pas facile, ça prend beaucoup d'énergie, ça coûte très cher, mais il y a de très gros clients.»

Attirer les jeunes

D'autres tentent de relancer leur commerce en attirant une clientèle qui a longtemps boudé les antiquaires : les jeunes. Pour séduire ces acheteurs furtifs, Dianne Chiasson a entièrement retravaillé sa marque. La boutique a changé de nom, et s'appelle désormais la Baronne de l'insolite, antiquités urbaines. Ceux qui s'aventurent dans le petit sous-sol pourront mettre la main sur des lampes rétro, un bar sur roulette qui date des années 50 et des sièges de l'Expo 67.

Le logo qui arbore la porte de la Baronne est résolument contemporain. Il est violet, une couleur plutôt rare chez les antiquaires!

La commerçante a aussi lancé un site web qui permet à ses clients de visionner les pièces en stock et connaître leur prix.

«Il faut suivre la tendance si l'on veut rester à flot», résume Dianne Chiasson.