La première cliente à la porte du Future Shop rue Sainte-Catherine, une heure avant l'ouverture du magasin hier après-midi, était une Chinoise de Shanghai. Madame Lee. Elle avait pris position devant la porte du magasin à 7h. Il était midi. Elle m'a montré sur le dépliant l'appareil photo qu'elle allait acheter, un Canon en solde à 500$ qui en vaut 800 normalement, mais le chiffre important est celui-ci, qu'elle soulignait du doigt: seulement 26 appareils par succursale.

Tout de même, madame, depuis 7h ce matin, il fait -20ºC...

Je sais bien, a-t-elle triomphé comme si on venait de la féliciter d'avoir remporté quelque ultramarathon.

La queue est longue, mais pas aussi longue que les autres années. Elle s'étire quand même jusqu'à la rue Saint-Alexandre, environ 400 personnes, une petite foule bigarrée, on ne peut plus montréalaise dans sa diversité. Les gens tapent des pieds, des mains, se frottent les oreilles.

T'as froid?

Oui, mais ça vaut la peine! Yaxuan a 14 ans, il est de Verdun, il est accompagné de son amie Xiang, 15 ans. Sont venus chercher leurs cadeaux de Noël, des iPod touch à 289$. Économiseront 30$ pour 5 heures d'attente...

Gustavo est un Brésilien de São Paulo, en vacances chez des amis.

Combien il fait à São Paulo en ce moment?

Trente-six! C'est ça qui est drôle, je viens de parler avec des amis là-bas, ils sont à la plage, ils veulent que je leur rapporte des laptops, des caméras, je vais dévaliser ce magasin!

Encore 10 minutes. À l'intérieur du magasin, les employés répètent des mantras comme des guerriers avant l'assaut. Dehors, Aldo, gérant, explique la marche à suivre aux clients. Une fois entrés, vous ne pourrez pas reculer. Le flot des arrivants vous en empêchera. Dirigez-vous vers le fond du magasin où vous vous éparpillerez.

Stephanie, 23 ans, est d'origine roumaine, Wily, 14 ans, est dominicain, ils sont malgré tout frère et soeur, adoptés par la même famille. Stephanie est venue acheter le cadeau de Noël de Wily, un téléphone intelligent.

Frédéric est français, doctorat en musique à l'Université de Montréal. Il veut un portable, un Toshiba.

Ça existe en France, le Boxing Day?

Ça doit, mais je n'y suis jamais allé. Aujourd'hui c'est parce que je veux cet ordi mais aussi parce que je n'ai rien de mieux à faire.

Celui-là est noir ébène mais me jure qu'il est un Belge de Bruxelles.

Arrêtez-donc de me dire des folies...

Puisque je vous le dis, je suis belge, je vous jure! Il est venu s'acheter un casque d'écoute Monster.

Jean-Michel et sa maman Chantale sont des Congolais d'Ottawa, ils ont passé Noël à l'hôtel à Montréal, comme ça, pour des petites vacances. Jean-Michel veut un laptop. Youssef, Karim et Hamza sont des Maghrébens d'Ahuntsic, sont venus pour des jeux vidéo. Yves et Nadège sont du Cameroun, Tapualii et Raipunai de Tahiti, les deux couples ont fait connaissance sur le trottoir. Devant eux, un autre couple d'Asiatiques, Katayla est laotien, Asita est chinoise.

Mais vous, Jérémie, rassurez-moi, vous êtes catholique ou presque?

Il l'était. Étudiant en urbanisme à l'Université de Montréal. Félicitations mon vieux, vous êtes le premier dans cette queue.

Le premier quoi?

Le premier «de souche». À croire que vos congénères ne sortent pas quand il fait froid.

Quatre, trois, deux, un, c'est parti. Le gérant ouvre les portes du Future Shop. La ruée? Pas vraiment. Ni ruée ni cavalcade. Un envahissement presque civilisé. Immédiatement, grande affluence aux jeux vidéo, où s'envolent les consoles Xbox 360 et PlayStation 3.

Il n'y a pas 15 minutes que le magasin est ouvert, les caisses sont déjà prises d'assaut, Dominic a les bras pleins, une balayeuse, deux casques d'écoute, un disque dur, un iPhone...

Pourtant, de l'avis des habitués, ce Boxing Day ne battera de records ni d'affluence ni de ventes. C'est peut-être le froid, mais peut-être aussi la concurrence du Boxing Day virtuel qui, déjà l'an dernier, égalait les ventes en magasin des 29 Future Shop de la province.

Le magasin le plus couru de la rue Sainte-Catherine hier après-midi? La boutique Adidas près de la rue de la Montagne. Tout à 50%. La queue s'étirait jusqu'à Drummond, à l'intérieur de la boutique, pas très grande il est vrai, une autre queue pour arriver aux souliers. Fiorina était venue avant Noël pour des cadeaux, elle est revenue avec Pasquale, son mari, hier après-midi, des souliers, des t-shirts; Lorette, qui attendait son tour à la caisse, avait les bras si chargés qu'elle devait lever la tête pour me parler par-dessus la dernière boîte de la pile... Ciel, madame, vous en avez là pour une fortune!

Cela dépend comment vous calculez. On peut dire que j'en ai pour 400$, mais on peut dire aussi que j'économise 400$ puisque tout est à 50%.

Le magasin le moins couru de la Sainte-Cath? Birks. Pas un chat quand nous sommes passés une première fois vers 14h, pas un chat quand nous sommes repassés vers 16h, une seconde nous avons pensé entrer pour distraire les vendeurs en leur chantant une petite chanson.

Pas de cohue non plus chez Ogilvy, ce n'est pas le genre de la maison de toute façon, «Boxing» n'est pas un mot qui convient pour décrire l'ambiance feutrée de cet établissement. Au comptoir des cosmétiques, la vendeuse aux lunettes tenues par une chaîne en argent nous a souri avec indulgence: non, monsieur, il n'y a pas de rabais sur les cosmétiques, jamais.

Et pourquoi donc?

Parce que c'est comme ça, nous a-t-elle dit en souriant encore, avec déjà moins d'indulgence. Pas de rabais spécial non plus à l'excellent restaurant du sous-sol où deux petites salades - excellentes -, un morceau de gâteau - délicieux - et un jus nous ont coûté 21$. Dieu merci, nous avons des frais de représentation.

Permettra-t-on au signataire de ce reportage de terminer sur une note un peu plus personnelle, comme il en a pris l'habitude dans sa pratique courante?

Or donc, hier matin, j'ai quitté ma campagne à l'aube ou presque pour aller à ce Boxing Day. Le soleil faisait scintiller les champs de neige et friselait le frimas des arbres. Oserais-je risquer: féerique? Sur le chemin Riceburg qui longe la rivière aux Brochets, dans un champ, des dindes sauvages, probablement deux ou trois centaines de dindes sauvages qui là quoi? Allez savoir.

La dinde était déjà l'emblème de Noël, je propose, sauvage tout aussi bien que domestique, qu'elle devienne aussi celui du Boxing Day

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