Un chiffre d'affaires de 1,5 million, des critiques élogieuses et une émission de télévision à V. Les affaires vont bien pour le chef Marc-André Royal, qui a ouvert le restaurant St-Urbain il y a deux ans à peine. L'entrepreneur a-t-il trouvé une recette miracle? En fait, son ingrédient secret est beaucoup moins flamboyant: la comptabilité.

«On ne vend pas de t-shirts, illustre-t-il. On ne peut pas entreposer la nourriture pendant un an jusqu'à ce qu'on la vende. Nous travaillons avec des ingrédients frais, donc périssables, et toute la chaîne de production, entre le moment où on les reçoit et celui ou ils se retrouvent dans l'assiette, est importante.»

Une base de données informatisée lui permet de savoir combien lui rapporte chaque plat en tenant compte du coût des aliments, de son loyer, des salaires de ses employés. Ses cuisiniers sont bien formés, de sorte que les erreurs de manipulation coûteuses sont réduites au minimum. Chaque verre de vin est mesuré au millilitre près.

Ces mesures ne sont pas fortuites, explique Marc-André Royal. La marge de profit d'un restaurant est si mince que le moindre gaspillage, répété jour après jour, peut se traduire par des pertes de plusieurs milliers de dollars à la fin de l'année.

Louis-François Marcotte, qui dirige trois restaurants à Montréal, connaît lui aussi l'importance d'une gestion serrée. À mesure que l'entreprise grandissait, il a procédé à des embauches peu communes dans le milieu de la restauration: un chef des finances et un acheteur. Plusieurs comptables s'assurent que la boîte est bien gérée, dans un siège social qui héberge aussi une centrale de réservations.

«Le matin, je ne rentre pas au restaurant, résume M. Marcotte, je rentre au bureau.»

Une gestion artisanale

Le problème de l'industrie, c'est que trop peu d'entrepreneurs font preuve de la même rigueur, estime François Pageau, consultant et professeur en restauration.

«La gestion des restaurants est souvent très artisanale», tranche-t-il.

Des achats faits selon l'inspiration du moment, une gestion du personnel déficiente, un suivi approximatif des inventaires, il ne faut guère s'étonner si près de 300 restaurants québécois ont fait faillite l'an dernier, déplore-t-il. Trop de restaurateurs fixent le prix de leurs plats sur un coin de table, sans tenir compte de la totalité de leurs coûts de production.

La situation est telle que, hormis quelques rares exceptions, les banques refusent de financer les nouveaux restaurateurs. Pourtant, plus de 700 entrepreneurs ont réussi à amasser les quelque 250 000$ nécessaires à l'ouverture d'un bar ou d'un restaurant entre 2007 et 2009.

«La grande majorité d'entre eux se lancent sans préparation, sans plan d'affaires, avec de l'argent familial», explique Christian Latour, professeur et président du Groupe Sherpa, une entreprise de services-conseils en restauration.

Des avancées techniques ignorées

Autre symptôme du problème, la résistance aux avancées techniques. Des stratégies qui permettent d'améliorer le rendement des cuisines tardent à s'implanter dans les restaurants québécois, alors qu'elles sont répandues depuis un quart de siècle en Europe.

La «cuisine sous vide», par exemple, commence à peine à s'implanter dans nos restaurants. Elle comporte pourtant trois avantages majeurs: des portions plus généreuses à partir des mêmes ingrédients, une meilleure conservation des aliments et la possibilité de cuisiner plus d'assiettes avec moins de personnel.

Une pièce de boeuf de 150 grammes, lorsque cuite au four et poêlée, pèse 120 grammes une fois prête, illustre Marc-André Royal, qui a été l'un des premiers chefs montréalais à adopter la technique. Lorsqu'elle est cuite lentement dans une poche sans air, elle pèse 140 grammes au terme de l'opération. Et comme elle a conservé son humidité, elle est plus tendre.

Pour une entreprise qui achète des centaines de kilogrammes de boeuf par année, les économies d'échelle sont considérables.

«Au bout de la ligne, le client aura une pièce de viande du même poids que dans un autre restaurant, mais ça m'a coûté moins cher, explique-t-il. C'est gagnant-gagnant: plus de saveur, plus de tendreté, et le rendement est meilleur.»

Une autre stratégie qui fait école ailleurs tarde à s'implanter ici, la cuisine dite «d'assemblage». Des restaurateurs achètent des produits déjà cuisinés, que les chefs peuvent modifier pour leur donner une signature maison.

Cette forme de sous-traitance oblige les restaurateurs à payer davantage pour s'approvisionner en nourriture. En revanche, il faut beaucoup moins d'employés pour transformer ces produits en plats finis, un avantage indéniable dans une industrie aux prises avec une pénurie de main d'oeuvre.

Mais encore là, les restaurateurs se méfient. «Beaucoup de restaurateurs ont peur que les clients dénigrent ces stratégies», résume François Pageau.