Le marché des jeux vidéo de seconde main agace au plus haut point les éditeurs de jeux vidéo. Leur solution, si elle se concrétise, agacera au plus haut point les consommateurs: l'interdiction pure et simple de revendre leurs jeux. Une impasse dans laquelle l'industrie continue de s'empêtrer, en attendant les premiers services en ligne de jeu vidéo sur demande.

La revente de jeux vidéo n'est pas un phénomène nouveau. Avec la fin d'une croissance ininterrompue de leurs ventes en 2008 et 2009, les grands éditeurs de jeux vidéo se sont découvert un intérêt soudain à mettre la main sur le magot que représente ce marché qui, lui, est toujours en pleine croissance.

Les dernières études nord-américaines estiment qu'en 2009, il s'est revendu pour 2 milliards US de jeux vidéo de seconde main, un record. C'est une somme supérieure aux revenus totaux générés par la série Halo, le titre le plus populaire de la console Xbox 360, de Microsoft, depuis 2001.

Ce marché échappe cependant complètement aux éditeurs. Ce sont des détaillants spécialisés qui empochent. Certains éditeurs ont cependant découvert qu'ils pouvaient accroître leurs revenus en faisant payer séparément l'accès au volet multijoueurs de leurs jeux.

L'été dernier, Electronic Arts a justement créé un système appelé Online Pass. Les joueurs peuvent essayer le mode multijoueurs pendant sept jours, après quoi il faut payer 10$ pour y revenir.

«Nous voyons le marché des jeux de seconde main comme une occasion de croissance», a récemment expliqué le vice-président du développement mondial des nouveaux produits d'EA Mobile, Andrew Wilson. «Peu importe où et comment les gens obtiennent leur copie du jeu, ils ont ainsi accès au même contenu additionnel sur nos serveurs.»

Plus tôt cette semaine, des éditeurs américains excédés ont poussé l'audace plus loin, demandant à la Cour d'appel des États-Unis d'interdire la revente. La loi proposée leur permettrait d'empêcher les acheteurs d'un jeu de le revendre après utilisation.

Imiter le modèle musical

Comme l'industrie musicale avant elle, l'industrie du jeu vidéo est sous la pression de plusieurs phénomènes liés au numérique: piratage, mobilité, etc. Tous ont pour effet de réduire les revenus tirés de la vente des jeux sous forme traditionnelle.

La proposition d'interdire la revente est une solution musclée qui semble inspirée des pires méthodes utilisées auparavant par l'industrie du disque. Pourtant, indiquent les experts, d'autres solutions mises de l'avant dans le secteur musical mériteraient d'être évaluées avant d'en arriver là.

Le jeu sur demande, par exemple. Lancé en septembre 2007, le logiciel Steam, de la société Valve Software, est un de ces nouveaux services. Ça semble marcher: Steam offre actuellement 110 titres à plus de 25 millions d'abonnés, un chiffre qui a doublé en 12 mois, l'an dernier.

Pierre Proulx, directeur général de l'Alliance numérique, à Montréal, estime que ce modèle serait une solution envisageable. «On s'en va vers un marché où le disque cédera le pas à des formats numériques, dit-il. Des services sur demande et des jeux multijoueurs où on paie pour chaque nouveau profil créé répondent aux défis du piratage, dans certains pays, ou des jeux usagés, chez nous.»

C'est l'équivalent pour le jeu vidéo à la formule privilégiée par plusieurs artistes dans le monde de la musique: les revenus proviennent moins de la vente de disques, et davantage des tournées de spectacles. «Les éditeurs de jeux vidéo tireront moins de revenus des titres vendus individuellement, mais se reprendront du côté du mode multijoueurs, ou via d'autres services en ligne», prédit M. Proulx.