Les détaillants canadiens et les compagnies émettrices de cartes de crédit s'affronteront à Ottawa à compter de cette semaine dans un débat qui pourrait être lourd de conséquences pour les consommateurs.

Le comité du Sénat sur les banques et le commerce tiendra des audiences mercredi et jeudi portant sur les frais de crédit et de débit exigés des détaillants et le comité des finances des Communes entend en faire autant bientôt.

L'enjeu est considérable, puisqu'à eux seuls, les émetteurs de cartes de crédit ont récolté 4,5 milliards $ de frais auprès des détaillants en 2008.

Les frais de débit, qui sont calculés différemment, se chiffraient à environ 415 millions $ en 2007.

Le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD), qui dénonce les hausses successives de ces frais, particulièrement pour les cartes de crédit, craint leur explosion si certaines nouvelles pratiques envisagées par les émetteurs de cartes se matérialisent.

L'ensemble de ces frais et les augmentations, même s'ils sont payés par les détaillants aux compagnies émettrices, seront inévitablement refilés en tout ou en partie aux consommateurs dans le prix des biens et services qu'ils achètent.

Les détaillants demandent donc à Ottawa d'encadrer ces frais et de discipliner les émetteurs de cartes, comme l'indique le président du CQCD, Gaston Lafleur.

«Ces frais-là ont subi des augmentations continues et fréquentes depuis la dernière année et notre organisation, avec d'autres associations liées au secteur du commerce de détail, font pression pour faire en sorte qu'on puisse encadrer de façon législative ou réglementaire les pratiques commerciales des émetteurs de cartes de crédit.»

Du côté des cartes de crédit, les frais atteignent en moyenne deux pour cent de la valeur de la transaction. Cependant, ils sont plus élevés pour les cartes offrant des primes, tels les milles aériens, les cartes corporatives, les cartes étrangères ou les cartes privilège.

Ainsi, même si vous ne recevez pas de primes ou de points bonis, vous payez ceux des autres lorsque vous achetez un produit dans un commerce qui les offre.

Or, Visa et MasterCard ont multiplié au fil des ans les émissions de ces cartes offrant divers avantages, car elles sont plus payantes pour la même transaction. De plus, Visa et MasterCard ont augmenté leurs frais, respectivement à quatre et cinq reprises, depuis octobre 2007 soit par le biais d'augmentations généralisées, soit par de nouvelles structures de tarifs ou encore par des augmentations ciblées sur certains types de cartes.

Le Bureau de la concurrence a d'ailleurs annoncé le 31 mars dernier l'ouverture d'une enquête sur les pratiques des deux entreprises en vertu des dispositions de la Loi sur la concurrence qui touchent l'abus de position dominante dans le marché.

Les détaillants craignent par ailleurs de voir Visa et MasterCard pénétrer le marché des transactions par débit, comme ils l'ont fait dans plusieurs autres pays. Cette démarche impliquerait des ententes avec les institutions financières qui permettraient aux détenteurs de cartes Visa et MasterCard d'utiliser celles-ci pour débiter directement leur compte bancaire.

Présentement, les transactions par débit font l'objet de frais fixes qui s'élèvent en moyenne à 0,12$ par transaction, quel qu'en soit le montant. Une transaction de type débit avec une carte de crédit impliquerait au contraire des frais liés à la valeur de la transaction.

Ainsi, un item vendu 100$ avec une carte de débit, qui coûte 0,12$ au détaillant, lui en coûterait alors 2$. La transaction moyenne par débit s'élève à 45$, de sorte que les frais actuels de 0,12$ passeraient à 0,90$, une augmentation de 650 pour cent qui serait refilée, en bout de ligne, au consommateur.

Déjà, les entreprises de crédit ont commencé à s'introduire dans ce marché mais elles n'exigent qu'un pourcentage minime par transaction - de l'ordre de 0,15 pour cent - afin de rester attrayantes pour les marchands.

Il s'agit toutefois d'un pourcentage bien inférieur à celui exigé dans les autres pays où les entreprises de crédit sont entrées de plain pied dans le marché du débit. Aux États-Unis, par exemple, Visa ne détenait que 10 pour cent du marché des transactions par débit il y a quatre ans; elle en détient aujourd'hui 70 pour cent.

Au Canada, l'Association Interac, une organisation sans but lucratif regroupant les participants du réseau, demande au Bureau de la concurrence le droit de modifier sa structure afin de lui permettre de se gouverner de manière indépendante de ses participants.

Son président et chef de la direction, Mark O'Connell, note que le conseil de direction comprend des représentants des institutions financières, des détaillants, des opérateurs de guichets automatiques indépendants et ainsi de suite: «Non seulement y a-t-il trop de mains sur le volant, mais ce sont aussi des compétiteurs.»

Les frais réclamés pour les transactions par débit Interac servent à gérer le système transactionnel, sans plus, mais cette structure de gouvernance l'empêche de prendre les décisions requises pour réaliser les améliorations technologiques qu'Interac juge nécessaires pour faire face à la concurrence des émetteurs de cartes de crédit.

Le Conseil québécois du commerce de détail reconnaît que la demande d'Interac est légitime mais, encore là, demande à Ottawa d'arbitrer les pratiques en matière de frais. D'une part, le conseil craint de voir Interac augmenter ses frais pour générer des profits, plutôt que de simplement assurer le maintien du réseau transactionnel.

Mais surtout, les détaillants craignent de voir les frais de tout le système de débit passer d'un montant fixe à un pourcentage de la valeur transactionnelle, comme l'indique M. Lafleur.

«On craint fort qu'Interac devienne éventuellement une société publique à but lucratif et à ce moment-là, on pourrait voir une situation où Visa et MasterCard, qui veulent entrer dans le marché des cartes de débit, factureraient les détaillants sur une base de valeur des transactions et non pas de coût, ce qui pourrait représenter des augmentations de 300 à 400 pour cent, et même davantage.»

M. O'Connell assure, cependant, que ce n'est pas du tout l'intention.

«Nous reconnaissons que la structure de frais fixes par transaction a été la raison de notre succès dans le passé et nous allons respecter ces racines à l'avenir.»