Ratifié 10 ans avant l'invention de Facebook, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ne s'attardait nullement à l'économie numérique. Le nouvel Accord États-Unis-Mexique- Canada (AEUMC) corrige cette situation et comporte un chapitre entier consacré au commerce des données.

Le nouveau chapitre 19 établit le libre-échange des données - qu'il s'agisse des photos de votre dernier voyage sauvegardées sur un serveur de Google ou d'un gazouillis écrit par Donald Trump - comme une priorité des relations commerciales entre le Canada et les États-Unis.

L'accord encourage notamment la collaboration entre les gouvernements en matière de cybersécurité, d'accès aux données publiques et même de lutte contre les pourriels. C'est aussi la première fois que la protection des renseignements personnels est abordée dans un traité canado-américain.

« Ça dénote un intérêt particulier pour tout ce qui est protection et transfert des renseignements personnels », dit Me Antoine Guilmain, avocat au cabinet Fasken et spécialiste des questions de la protection des données.

« Les États-Unis ont des lois sectorielles au sujet de la protection des renseignements personnels, mais pas de cadre général, contrairement au Canada. On peut penser qu'on se dirige vers des discussions pour l'adoption d'un tel cadre. » - Me Antoine Guilmain

Le nouvel accord s'attarde aussi à l'emplacement des centres de données. Il précise que les pays signataires ne peuvent exiger qu'une entreprise installe un centre informatique sur son territoire en échange du droit d'y faire des affaires. Seules des exceptions relatives à l'intérêt ou à la sécurité nationale sont prévues.

Depuis quelques années, plusieurs pays, dont le Canada, avaient renforcé leurs exigences quant au stockage local des données afin de les soustraire au regard des services de renseignement américains, notamment du Patriot Act.

Ces politiques ont favorisé la région de Montréal, où des entreprises comme Google et Microsoft ont implanté la majorité de la cinquantaine de centres de données répertoriés au Québec.

« Nous croyons que cet accord est une bonne nouvelle », dit toutefois Stéphane Paquet, vice-président, responsable de l'investissement étranger pour Montréal International.

« Ça clarifie les règles du jeu : il ne peut plus y avoir de discrimination quant à l'emplacement des centres de données. C'est le libre marché qui prévaut. » - Stéphane Paquet

Il estime que des entreprises américaines pourront désormais installer un serveur ici « et bénéficier de l'énergie propre, fiable et à bon marché du Québec » sans craindre de représailles de la part du gouvernement américain, qui pourrait croire qu'elles cherchent à échapper au Patriot Act.

EXEMPTION CULTURELLE ET TAXE NETFLIX

Bien que des doutes aient été soulevés à ce sujet après l'annonce de l'accord, l'exemption culturelle s'applique aussi à tous les produits distribués électroniquement, qu'il s'agisse de livres, de musique ou de films. Le gouvernement fédéral sera donc libre, par exemple, d'adopter des politiques qui protègent le cinéma québécois de l'appétit des géants technos.

« L'exemption culturelle est neutre et générale, et s'applique à l'ensemble des chapitres de l'accord, dit-on au cabinet du ministre du Patrimoine canadien, Pablo Rodriguez. Elle touche tant les médias existants que ceux qui restent à être inventés. »

Si elle interdit d'appliquer des tarifs douaniers à l'économie numérique, l'entente reconnaît explicitement aux pays le droit de taxer les services en ligne.

« Le gouvernement fédéral serait donc libre, tout comme le Québec, de taxer Netflix. » - Didier Culat, avocat du cabinet BCF spécialisé en commerce international

Pour Susan Ariel Aaronson, associée principale au Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale, le gouvernement canadien s'est toutefois lié les mains en signant un tel accord alors qu'il tente de développer son secteur de l'intelligence artificielle.

« Le commerce électronique et le transfert de données sont deux choses distinctes et ne devraient pas être encadrés par les mêmes lois, dit-elle en entrevue. Le gouvernement canadien fait l'erreur de tout mettre dans le même paquet. »

Ottawa a annoncé en juin une vaste consultation en vue d'élaborer une stratégie nationale sur le « big data », ou mégadonnées, rappelle-t-elle. « Il aurait été opportun d'attendre l'adoption d'une telle stratégie avant de s'engager dans un traité avec les États-Unis. »