Le gouvernement Trudeau n'a pas l'intention de tendre l'autre joue après la décision de l'administration Trump de frapper le Canada de tarifs douaniers de 25 % sur ses exportations d'acier et de 10 % sur ses exportations d'aluminium depuis minuit hier soir. Ce sera la loi du talion qui s'appliquera - oeil pour oeil, dent pour dent.

À compter du 1er juillet, le gouvernement canadien imposera des mesures de représailles de la même ampleur qui prendront la forme de surtaxes ou d'autres mesures similaires sur les importations d'acier, d'aluminium et d'autres produits venant des États-Unis, ont indiqué hier le premier ministre Justin Trudeau et la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland.

À une semaine du sommet du G7 à La Malbaie, dans la région de Charlevoix, où sont attendus le président américain Donald Trump et les leaders des pays les plus industrialisés, les tensions commerciales entre les États-Unis et le Canada bousculent l'ordre du jour établi par M. Trudeau, l'hôte du sommet.

Les tensions commerciales sont d'autant plus vives entre les deux pays que M. Trudeau a révélé hier avoir proposé la semaine dernière à son homologue américain de se rendre à Washington pour conclure les négociations visant à moderniser l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), convaincu qu'une entente était à la portée de la main. Mais il a renoncé à ce projet mardi soir après avoir reçu un appel téléphonique du vice-président Mike Pence exigeant que le Canada accepte au préalable d'inclure une clause crépusculaire de cinq ans dans la nouvelle mouture de l'accord. Cela aurait forcé le Canada, les États-Unis et le Mexique à retourner à la table de négociations tous les cinq ans.

« Aucun premier ministre canadien n'acceptera jamais une telle clause. Alors, évidemment, nous ne nous sommes pas rendus à Washington pour faire cette journée de négociations. » - Justin Trudeau en conférence de presse

CHANGEMENT DE TON

Alors qu'il avait misé sur la diplomatie tranquille depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Trump en janvier 2017 et que lui et ses ministres ont mené plusieurs offensives de charme aux États-Unis pour contrer les velléités protectionnistes de l'administration américaine, Justin Trudeau a clairement changé de ton hier envers le locataire de la Maison-Blanche.

D'entrée de jeu, il a affirmé que la décision du président américain d'invoquer l'article 232 de la loi concernant la sécurité nationale pour justifier l'imposition de tarifs douaniers sur les exportations canadiennes d'acier et d'aluminium constituait « un affront au partenariat de longue date en matière de sécurité entre le Canada et les États-Unis et, en particulier, aux milliers de Canadiens qui se sont battus et qui ont péri aux côtés de leurs compagnons d'armes américains ».

« Le Canada est un fournisseur sûr d'aluminium et d'acier pour l'industrie de la défense des États-Unis. Notre aluminium sert à la fabrication d'avions américains et de chars d'assaut américains. Il est impensable que l'on puisse considérer le Canada comme étant une menace à la sécurité des États-Unis. »

« Ces tarifs douaniers nuiront aux industries et aux travailleurs des deux côtés de la frontière canado-américaine et perturberont les chaînes d'approvisionnement qui ont rendu de l'acier et de l'aluminium nord-américains plus compétitifs à travers le monde. » - Justin Trudeau

« Ces tarifs douaniers sont inacceptables. Au cours des 150 dernières années, le Canada a été le partenaire le plus solide des États-Unis. Les Canadiens et les Américains se sont battus côte à côte lors de deux guerres mondiales et en Corée. Des plages de la Normandie aux montagnes de l'Afghanistan, nous nous sommes battus ensemble et nous avons pleuré la perte des nôtres ensemble. Et les Forces canadiennes oeuvrent toujours aux côtés des Américains. Nous sommes des partenaires du NORAD, de l'OTAN et partout dans le monde. [...] 

« Nous nous sommes portés à la défense des États-Unis après le 11-Septembre, tout comme les Américains se sont portés à notre défense par le passé. Et nous nous battons ensemble contre Daesh dans le nord de l'Irak », a aussi dit le premier ministre.

LA RIPOSTE LE 1er JUILLET

Les tarifs douaniers canadiens qui s'appliqueront à compter du 1er juillet pourraient atteindre 16,6 milliards de dollars, soit l'équivalent du montant total des exportations canadiennes d'acier et d'aluminium en 2017 vers les États-Unis (voir onglet 5). 

Ces tarifs demeureront en vigueur tant et aussi longtemps que l'administration Trump n'aura pas battu en retraite et aboli les tarifs américains.

Au préalable, le gouvernement fédéral consultera les Canadiens pendant une période de 15 jours. Au départ, le Canada, le Mexique et l'Union européenne avaient été exemptés des droits d'importation de 25 % sur l'acier et de 10 % sur l'aluminium lorsqu'ils ont été imposés pour la première fois en mars par les États-Unis, mais ces exemptions ont pris fin hier soir à minuit.

Le secrétaire américain au Commerce, Wilbur Ross, a confirmé la décision de Washington d'imposer ces taxes punitives contre le Canada et les autres pays lors d'une conférence téléphonique avec les médias, hier matin. 

Il a notamment justifié l'imposition de tarifs au Canada et au Mexique en établissant un lien direct avec les pourparlers de l'ALENA.

M. Trudeau avait tenté de convaincre le président Trump de ne pas emprunter cette voie au cours des derniers jours, mais en vain. Hier, il a convenu qu'il était difficile de faire appel au bon sens de son administration.

« Les chiffres sont clairs : les États-Unis affichent un surplus de 2 milliards de dollars américains en ce qui a trait au commerce de l'acier avec le Canada, et le Canada achète plus d'acier américain que tout autre pays du monde, ce qui représente la moitié des exportations américaines d'acier », a-t-il notamment fait valoir.

OMC ET ALENA

Interrogé pour savoir si l'imposition de ces tarifs douaniers des deux côtés de la frontière risquait de provoquer une guerre commerciale, le premier ministre a affirmé qu'il n'hésiterait jamais à défendre les intérêts commerciaux du Canada et les emplois des travailleurs canadiens. Dans l'intervalle, le Canada compte aussi porter l'affaire devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et utiliser le mécanisme de règlement des différends de l'ALENA pour casser la décision américaine.

M. Trudeau s'est entretenu avec les chefs des autres formations politiques avant de rencontrer les médias afin de présenter un front uni canadien dans ce dossier.

Photo Patrick Doyle, La Presse canadienne

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

Photo Darryl Dyck, Archives La Presse canadienne

Un travailleur à l'oeuvre dans une usine de fabrication d'acier à Burnaby, en Colombie-Britannique,

Nombreuses réactions

Le Mexique réplique à son tour

« Le Mexique imposera des mesures équivalentes sur divers produits [dont certains aciers, des fruits et des fromages] qui seront en vigueur tant que le gouvernement américain n'éliminera pas les taxes imposées. » - Extrait d'un communiqué du ministère de l'Économie du Mexique

« Une escalade qui nuira à tout le monde »

« Le gouvernement allemand rejette [ces taxes]. Nous estimons qu'elles sont illégales [et que la décision de les instaurer] porte en elle le risque d'une spirale nous entraînant dans une escalade qui au final nuira à tout le monde. » - Angela Merkel, chancelière de l'Allemagne

Une décision « illégale »

Le président de la France Emmanuel Macron a dit hier soir à Donald Trump, au cours d'un entretien téléphonique, que sa décision d'imposer des taxes sur l'importation d'acier et d'aluminium de l'UE était « illégale », « une erreur » et que l'Union européenne riposterait « de manière ferme et proportionnée », a indiqué l'Elysée.

« On doit se tenir debout »

« On doit se tenir debout. Il ne faut pas se laisser faire. Ne pas se laisser faire, ça veut dire préparer un argument de poids, mais également trouver des alliés et faire un maximum de contacts, répliquer à ce qui se passe aujourd'hui. » - La ministre de l'Économie du Québec, Dominique Anglade

Inquiétude pour les petits producteurs

« La marge bénéficiaire [des petites entreprises québécoises du domaine de la transformation de l'aluminium] n'est pas élevée. Ils n'ont pas tous les reins assez solides pour absorber les tarifs. Certains auront de la difficulté à se tirer d'affaire. C'est une question de semaines ou de mois. » - Jean Simard, président de l'Association de l'aluminium du Canada

« Le premier ministre a échoué »

« Il y a deux mois, Justin Trudeau a dit aux travailleurs du Québec, de l'Ontario et de la Saskatchewan qu'il avait réglé le problème. Maintenant, l'industrie fait face à de nouveaux obstacles protectionnistes aux États-Unis. La nouvelle d'aujourd'hui prouve hors de tout doute que le premier ministre a échoué. » - Andrew Scheer, chef du Parti conservateur

« Établir un plan d'action »

« Le premier ministre devrait prendre l'avion, devrait aller voir directement le président des États-Unis. Puis avoir vraiment une discussion d'homme à homme, sérieux, dans le blanc des yeux, et établir un plan d'action. » - Karine Trudel, députée néo-démocrate de Jonquière, une région où le secteur de l'aluminium est névralgique