Alors que Davie attend toujours avec impatience de savoir si Ottawa lui attribuera de nouveaux contrats, le chantier naval de Lévis est le seul groupe canadien à s'être placé sur les rangs en vue de récolter un éventuel contrat de plus de 2 milliards de dollars de la marine péruvienne.

Signe de l'importance de ce mandat potentiel, l'entreprise enverra le mois prochain une délégation au Pérou pour rencontrer des officiels de la marine.

Un contingent péruvien, dont des représentants de l'État et des officiers supérieurs, doit ensuite visiter le chantier de Lévis en mai en prévision du lancement des appels d'offres formels par Lima.

Selon Frédérick Boisvert, porte-parole de la direction de Davie, la participation du groupe à ce processus « vient confirmer l'émergence d'un nouveau Chantier Davie, qui innove tant au pays qu'à l'étranger ».

« PARTENARIAT STRATÉGIQUE »

Ces démarches en Amérique du Sud, qui peuvent sembler surprenantes à première vue, découlent d'une demande de manifestations d'intérêt lancée par la marine péruvienne l'automne dernier. Le Pérou espère former un « partenariat stratégique » avec un grand chantier maritime international pour construire une série de nouveaux équipements militaires maritimes et acquérir du même coup des connaissances dans ce secteur.

Davie a officiellement fait part de son intérêt à fournir six frégates de combat polyvalentes au Pérou. Ce mandat pourrait s'accompagner d'un transfert de technologies et de contrats subséquents dans la nation sud-américaine de 32 millions d'habitants.

La décision de Lima pour le renouvellement de sa flotte militaire pourrait être rendue à la fin de 2019, à moins que la démission du président péruvien Pedro Pablo Kuczynski cette semaine ne change la donne.

AUTRES CHANTIERS

Selon nos informations, la demande de manifestations d'intérêt de la marine péruvienne n'a pas attiré les deux autres grands chantiers du Canada. Irving Shipbuilding, d'Halifax, et Seaspan, de Vancouver, planchent ces jours-ci sur une série de contrats pour la marine canadienne, évalués à plus de 75 milliards au cours des prochaines décennies.

Davie a de son côté été exclu de la Stratégie de construction navale lancée en 2011 sous le précédent gouvernement conservateur. Le chantier québécois, frappé par plusieurs faillites et changements de propriétaires au cours des dernières décennies, était à l'époque en pleine tourmente financière.

Davie a livré le ravitailleur Astérix en décembre dernier, un mandat réalisé en 24 mois et à l'intérieur des budgets prévus. Le chantier loue ce navire à la marine, par l'entremise de sa société soeur Federal Fleet Services, afin de répondre aux besoins urgents du Canada en mer, en vertu d'une formule inédite au pays. L'entreprise s'attendait à la commande d'un deuxième bateau du même type - l'Obélix -, qui ne s'est jamais concrétisée.

Le manque de contrats l'a forcée à mettre à pied 800 de ses 1200 travailleurs au cours des derniers mois. De nombreuses voix - dont celle de Philippe Couillard - se sont élevées au Québec pour exiger que le gouvernement fédéral attribue de nouveaux contrats au chantier de Lévis. Ces détracteurs déplorent que l'entreprise ait obtenu moins de 1 % de tous les contrats fédéraux des dernières années, alors qu'elle possède la plus importante capacité de construction navale au pays.

BRISE-GLACES

Alors que la grogne prenait de l'ampleur, le premier ministre Justin Trudeau a annoncé en janvier dernier le début de négociations officielles entre Ottawa et la Davie en vue de la location de quatre brise-glaces.

Selon la proposition déposée par Davie, les bateaux (existants) seraient acquis par le chantier québécois, modifiés à Lévis, et ensuite loués à la Garde côtière selon la même formule que pour l'Astérix. Quatre navires ont été mis en réserve en vue d'être convertis rapidement si Ottawa donne son feu vert. Aucune date butoir n'a encore été avancée pour la fin des négociations.

« Le gouvernement du Canada demeure déterminé à trouver des solutions qui répondent aux besoins de la Garde côtière canadienne tout en obtenant le meilleur rapport qualité-prix pour le Canada », a indiqué Michèle Larose, porte-parole de Services publics et Approvisionnement Canada (SPAC), dans un courriel à La Presse.

La pression des partis d'opposition - et des élus de la région de Québec - augmente pour qu'Ottawa prenne vite une décision. Les inquiétudes sont d'autant plus grandes que la Garde côtière envisagerait de ne louer que trois petits brise-glaces à la Davie et de se débrouiller autrement pour un quatrième de plus grande capacité, capable de naviguer dans l'Arctique.

100 OU 300 EMPLOIS

Si Ottawa retient ce scénario à trois navires, Davie serait seulement en mesure de rappeler une centaine de travailleurs pendant quelques mois, le temps de convertir les bateaux selon les spécifications de la Garde côtière canadienne. Avec le quatrième brise-glace, le chantier envisage plutôt de rappeler 300 employés à Lévis pour une période de deux ans.

Talonnée à la Chambre des communes hier par un député québécois, la ministre des Services publics et de l'Approvisionnement, Carla Qualtrough, a affirmé qu'Ottawa faisait preuve de célérité dans les pourparlers avec Davie. « Nous continuons les discussions, nous faisons preuve de la diligence requise et nous allons continuer à trouver des solutions avec le chantier », a-t-elle lancé.

La porte-parole de son ministère a par ailleurs indiqué que le gouvernement fédéral « continuera à mobiliser Chantier Davie et d'autres entreprises du secteur de la construction navale concernant ses besoins futurs ».