Les médias traditionnels qui luttent pour leur survie n'ont rien trouvé pour soulager leur angoisse dans le budget d'hier, et leur déception unanime était à l'avenant.

Le ministre des Finances accorde 50 millions sur cinq ans aux organisations indépendantes pour soutenir le journalisme local dans les communautés mal desservies. Les autres entreprises de presse - qui ont multiplié les cris d'alarme au cours des derniers mois - doivent se contenter d'un engagement du gouvernement à permettre aux dons privés et à la philanthropie de venir à leur rescousse.

« Des miettes », dénoncent les journalistes du Québec, en se faisant l'écho de toute l'industrie. « Ils ne font rien pour empêcher l'exode des revenus publicitaires vers la Silicon Valley. Amazon, Google, Facebook : des compagnies qui ne paieront jamais de taxes au Canada ou de redevance au Fonds des médias, a dénoncé Stéphane Giroux, président de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). On ne taxe pas Netflix et on donne des pinottes aux médias. »

Médias d'info Canada, plus grand regroupement de journaux au pays, s'est aussi dit « déçu par le manque de soutien à l'industrie ». « Le montant annoncé est beaucoup trop faible pour réussir à remplir le défi grandissant que constitue l'information locale, ajoute le communiqué diffusé par l'organisation. Dans les prochains mois et les prochaines années, de plus en plus de communautés au Canada perdront leur journal local. »

La société éditrice du Toronto Star, membre de Médias d'info Canada, avait tiré la sonnette d'alarme il y a deux semaines. « Nous luttons pour notre survie, avait expliqué John Honderich, président du conseil d'administration de Torstar. Nous avons très peu de temps devant nous. » L'entreprise n'a pas rappelé La Presse hier.

« UNE CRISE SANS PRÉCÉDENT »

À Montréal, le président de La Presse a exprimé sa déception : « Le budget ne répond en rien aux besoins exprimés par les quotidiens de partout au pays qui font face à une crise sans précédent et qui, dans certains cas, sont menacés de fermeture », a déclaré Pierre-Elliott Levasseur par courriel.

Du côté syndical, on allait dans le même sens.

« Le mot-clé, malheureusement, c'est déception quant à la hauteur des mesures. » - Pascale St-Onge, présidente de la Fédération nationale des communications (FNC) de la CSN.

La FNC fait campagne depuis plusieurs mois pour convaincre Ottawa d'aider les médias à sortir de la crise dans laquelle ils sont plongés.

L'aide de 50 millions sur cinq ans, soit 10 millions par année, est peu de chose comparativement aux 75 millions par année versés par Ottawa à des périodiques comme Les Affaires, par exemple, par l'entremise d'un fonds consacré à ce type de publications.

Le budget Morneau a abordé la question de l'équité fiscale entre les Canadiens, mais il ignore complètement la concurrence des entreprises étrangères dans le secteur du commerce électronique et des médias. Il n'y a pas de référence à Netflix et compagnie, ni dans le discours du budget ni dans les documents qui l'accompagnent.

AVENUE PHILANTHROPIQUE

Ottawa a ouvert la porte au financement indirect des médias en facilitant les dons philanthropiques à ceux qui choisiraient une telle voie.

« Le gouvernement étudiera de nouveaux modèles qui autoriseront les dons privés et le soutien philanthropique pour des nouvelles locales et un journalisme fiable, professionnel et à but non lucratif », peut-on lire dans le budget.

Le document précise qu'il « pourrait s'agir de nouveaux moyens, pour les journaux canadiens, d'innover et d'obtenir le statut d'organisme de bienfaisance en tant que fournisseurs de journalisme à but non lucratif compte tenu de leurs services dans l'intérêt du public ».

Cette ouverture vers la philanthropie a été jugée très intéressante par le directeur du Devoir

« Pour nous, ça peut être la solution. Le Devoir est le quotidien qui reçoit le plus de dons avec la fondation des Amis du Devoir. » - Brian Myles, directeur du Devoir

La fondation a en effet récolté 600 000 $ en dons en 2017, sans pouvoir remettre de reçus fiscaux. Avec cette possibilité, ce type de revenus pourrait doubler, estime M. Myles.

« Ça viendrait soulager la pression et mettre la décision [de soutenir ou non le média] dans les mains du public », souligne-t-il.

S'il est heureux pour Le Devoir, Brian Myles est très déçu de l'absence de mesures qui auraient pu aider l'ensemble de la presse. « On a perdu deux ans », estime-t-il en faisant référence aux efforts des patrons de presse pour sensibiliser le gouvernement fédéral à leurs défis.

« Il n'y a rien dans ce budget pour régler l'iniquité fiscale avec les géants du web que tout le monde dénonce, constate le directeur du Devoir. J'attends le prochain budget du Québec avec impatience. »