Le gouvernement fédéral reconnaît les ratés « tout simplement inacceptables » du système de paye Phénix et confirme son abandon prochain. Ottawa investira tout de même 431 millions de dollars d'ici cinq ans pour tenter de le réparer de façon temporaire, ce qui portera la facture totale de ce fiasco informatique à au moins 900 millions.

« Le gouvernement fait tout ce qu'il peut pour redresser la situation », a soutenu le ministère des Finances dans les documents budgétaires déposés hier.

Ottawa a embauché plusieurs centaines de personnes depuis un an et demi pour tenter de régler les problèmes de Phénix, sans aucun succès. Des milliers de fonctionnaires fédéraux sont encore sous-payés, surpayés, ou pas payés du tout. Signe de l'engorgement du système, plus de 600 000 transactions sont encore en attente de traitement.

Le gouvernement fédéral n'a toujours aucune idée du système qui sera mis en place pour remplacer Phénix d'ici cinq ans. « Après Phénix, c'est le vide », a confié un haut fonctionnaire, hier, en marge du budget.

Le futur système pourrait inclure certains éléments de Phénix, ou repartir de zéro, a-t-il indiqué. Ottawa n'a toujours pas décidé s'il entamera des recours judiciaires contre le géant informatique IBM, qui a conçu le programme de paye défaillant.

DEUX ANS D'ÉTUDES

Le gouvernement fédéral investira 16 millions sur deux ans, à compter de 2018-2019, « afin de travailler avec des experts, les syndicats, de la fonction publique fédérale et des fournisseurs de technologies sur les prochaines étapes de la mise en place d'un nouveau système de paye », indiquent les documents budgétaires.

En parallèle, Ottawa injectera 431 millions sur six ans pour continuer « de s'occuper des difficultés que pose la paye ». Ces sommes serviront à tenter de réparer Phénix de façon temporaire, en attendant un meilleur système, et à embaucher de nouveaux employés pour gérer la crise.

Plus de 1500 travailleurs sont déjà affectés à la gestion des déboires du système de paye. 

Ottawa indique avoir déjà dépensé 460 millions pour mettre en place et gérer les « problèmes connexes » de Phénix depuis 2016.

En incluant les sommes annoncées hier, la facture globale de Phénix s'approchera des 900 millions, selon les calculs du gouvernement fédéral. La note pourrait toutefois être encore plus salée, soutient un rapport accablant publié par le Vérificateur général du Canada en novembre dernier.

EMPLOYÉS SOULAGÉS

L'abandon de Phénix constituait la seule et unique décision que pouvait prendre le gouvernement fédéral, estime Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada, qui représente près de 300 000 employés fédéraux. « Ça fait au moins un an que les représentants syndicaux essaient d'expliquer au gouvernement que ce système ne peut être réparé. Ils en sont finalement arrivés à la bonne décision. »

M. Yussuff estime que le gouvernement précédent de Stephen Harper - et surtout de l'ancien président du Conseil du Trésor Tony Clement - devrait être « tenu responsable » de l'implantation catastrophique de ce système.

Il exige par ailleurs que le fédéral négocie des règlements à l'amiable avec les employés touchés, qui sont des milliers à avoir vécu des conséquences personnelles considérables en raison des problèmes de paye. Certains ont même perdu leur maison, faute de rentrées d'argent.

Hassan Yussuff soutient que le gouvernement fédéral bénéficie de suffisamment de ressources qualifiées pour concevoir le prochain système de paye à l'interne, sans recourir à des firmes comme IBM. Il qualifie l'implantation de Phénix du « plus grand cafouillis » de l'histoire du gouvernement fédéral.

STRESS PSYCHOLOGIQUE

Dans son budget déposé hier, Ottawa reconnaît le « stress psychologique et émotionnel réel » des employés touchés par des problèmes de paye, qui engendrent « des répercussions financières inacceptables ». Des discussions ont été entamées en vue de traiter les nombreux « griefs et actions en justice » qui découlent de cette situation.

Le budget 2018 accordera par ailleurs 5,5 millions à l'Agence du revenu du Canada pour lui permettre de traiter de façon plus rapide les dossiers problématiques reliés à Phénix.