Les consommateurs de cannabis se tourneront sans doute en masse vers internet au lieu de rouler des kilomètres pour se rendre à une succursale de la Société québécoise du cannabis (SQC) - et risquer d'y croiser un patron, un voisin ou un parent d'élève en payant son gramme une fois arrivé.

Au Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), on s'attend à une hausse «considérable» du volume de colis lorsque le cannabis à des fins récréatives sera légal au Canada, a indiqué Sylvain Lapointe, directeur national de la région Montréal métropolitain.

«Il y a plusieurs personnes qui ne voudront pas aller dans les magasins pour s'identifier. C'est sûr qu'ils doivent s'identifier à leur facteur, mais les paquets ne sont pas identifiés, donc il n'y a aucun moyen de savoir ce qui se trouve dans chaque colis», a-t-il exposé.

«C'est ce qui se fait actuellement pour le cannabis médical. La meilleure façon, pour une personne qui veut avoir du cannabis, c'est de commander par la poste», a tranché M. Lapointe en entrevue téléphonique avec La Presse canadienne.

Mais il n'y a pas que les préoccupations en matière de confidentialité et de rareté des SQC - il y aura seulement 15 succursales qui auront pignon sur rue à temps pour l'échéancier fédéral de juillet 2018, et surtout en zone urbaine - qui risquent de doper les ventes de cannabis en ligne.

Il y a aussi, voire surtout, le fait que le commerce électronique est en pleine expansion: selon un rapport publié par le Centre facilitant la recherche et l'innovation dans les organisations (CEFRIO) en mars 2017, quelque 57 pour cent des adultes québécois ont fait des achats en ligne en 2016.

Et c'est sans compter le fait que le cannabis est un produit qui exerce un attrait particulier sur «la clientèle des milléniaux, qui est habituée de faire des achats en ligne», a noté dans un entretien au téléphone le consultant Cédric Fontaine, spécialiste du commerce électronique.

«Les gens ont le réflexe d'acheter de tout en ligne, et aujourd'hui, avec Postes Canada, on reçoit les colis en 24 ou 48 heures», donc cette «facilité à se procurer» du cannabis sur le web va «jouer en faveur» du commerce en ligne, a-t-il dit.

Évidemment, du côté du STTP, on plaide que les meilleures personnes pour faire la livraison sont les employés de Postes Canada. «Nos membres sont prêts à prendre les tâches additionnelles de la livraison du cannabis», a assuré Sylvain Lapointe.

Le représentant syndical, qui est par ailleurs négociateur en chef de l'unité urbaine, n'est pas prêt à dire que de nouvelles embauches seront nécessaires afin de pallier la demande. Au minimum, la manne qui se profile à l'horizon «va aider à maintenir des emplois convenables», a-t-il avancé.

«C'est difficile d'évaluer l'impact sur les emplois, mais on sait que le colis nécessite plus de temps de livraison que de livrer des lettres. Donc, il est certain que toute expansion au niveau du colis a un impact sur le nombre d'emplois», a-t-il souligné.

La société d'État a refusé net de discuter avec La Presse canadienne de ses plans en prévision de la légalisation de la substance.

«Toute décision concernant la livraison ou la disponibilité de la marijuana légalisée revient aux divers organismes gouvernementaux chargés d'en encadrer la consommation», s'est contenté d'écrire dans un courriel Philipe Legault, des relations médias.

Le projet de loi 157 déposé à l'Assemblée nationale prévoit que la SQC peut «vendre du cannabis au moyen d'internet». Rien, dans le texte, ne prévoit la mise sur pied obligatoire d'un système de type monopolistique dont bénéficierait de facto Postes Canada.

L'attachée de presse de la ministre de la Santé publique, Lucie Charlebois, a précisé dans un courriel que la SQC serait «responsable d'assurer les livraisons et pourrait faire le choix de retenir la société de la Couronne pour effectuer celles-ci» dès l'entrée en vigueur du projet de loi fédéral.

Ailleurs au pays, dans les juridictions qui n'auront pas autorisé de détaillants, les adultes pourront acheter du cannabis d'un producteur autorisé par le fédéral «au moyen d'une commande en ligne et d'une livraison sécurisée à domicile par la poste», selon Santé Canada.

De gros joueurs du secteur de la livraison de colis comme FedEx, Purolator ou UPS pourraient donc eux aussi chercher à tirer leur épingle du jeu.

«C'est l'entreprise (le producteur autorisé) qui va faire cette décision-là pour s'assurer qui va faire la livraison du produit à la maison», a signalé en mêlée de presse il y a quelques jours la ministre fédérale de la Santé, Ginette Petitpas Taylor.

Chez UPS Canada, où l'on offre déjà le service de livraison à domicile de cannabis médical, le porte-parole Nirali Raval n'a pas voulu dire si l'entreprise avait l'intention de se lancer dans la livraison de cannabis récréatif lorsque celui-ci sera légalisé au pays.

Un haut dirigeant de la multinationale, Nicolas Dorget, n'a cependant pas caché son vif intérêt pour cette nouvelle opportunité d'affaires. «Que ça soit du cannabis ou une canne de thon, si c'est légal, on va être là», a-t-il confié en août dernier au Journal de Montréal.

Invité à se prononcer sur cette concurrence qui se profile à l'horizon, le représentant du STTP réplique: «Ce que je peux vous dire, c'est qu'ils n'ont pas le réseau, la capacité que Postes Canada a avec ses quelques 6000 points de service à travers le pays».