L'Agence du revenu du Canada (ARC) a été accusée hier d'entretenir « une culture du secret » et de ne pas déployer assez d'efforts pour s'attaquer à l'évasion fiscale, au moment où la publication des Paradise Papers continue de secouer le milieu politique fédéral.

Le nom du principal argentier du Parti libéral du Canada est apparu à plusieurs reprises dans les documents publiés dimanche, en raison de ses liens avec une fiducie des îles Caïmans. Attaqué de toutes parts, le gouvernement Trudeau répète avoir investi 1 milliard de dollars depuis deux ans pour aider l'ARC à lutter contre l'évasion fiscale.

Cette somme a bel et bien été annoncée, mais des documents internes publiés hier révèlent que l'ARC a dépensé moins de 40 millions pendant l'année financière 2016-2017 - une maigre portion de l'enveloppe de 1 milliard sur cinq ans.

« Pourquoi l'Agence dit-elle qu'elle a 1 milliard de dollars quand elle a dépensé moins de 40 millions l'an dernier ? Elle devrait être simplement ouverte et transparente », a déploré le sénateur Percy Downe, qui scrute les activités de l'ARC depuis des années.

« CULTURE DU SECRET »

M. Downe a communiqué à La Presse des documents signés par la ministre du Revenu Diane Lebouthillier. Ces rapports, qu'il avait demandés le printemps dernier dans le cadre de ses fonctions au Sénat, fournissent quelques informations sur les activités de l'ARC en matière de lutte contre l'évasion fiscale.

C'est toutefois trop peu, selon Percy Downe. Le sénateur cherche notamment à connaître le montant des impôts impayés au Canada, une donnée cruciale que l'ARC refuse de publier depuis des années, contrairement à plusieurs autres pays comme le Royaume-Uni.

« Il y a certainement un manque de transparence et une culture du secret à l'Agence du revenu qui sont très déplorables. Les Britanniques, par exemple, viennent de publier leur dernière analyse sur l'écart fiscal, et le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. » - Percy Downe, sénateur

Selon un rapport récent du Conference Board, les impôts non perçus par Ottawa pourraient s'élever à 47 milliards de dollars.

OÙ SONT LES 25 MILLIARDS ?

Le manque d'information s'étend aussi aux sommes que l'ARC affirme avoir récupérées dans les paradis fiscaux. Après la publication des Paradise Papers, dimanche, l'Agence a indiqué dans un communiqué qu'environ les « deux tiers des 25 milliards de dollars que l'ARC a récupérés à la suite de ses vérifications des deux dernières années provenaient de grandes entreprises internationales et d'activités de planification fiscale abusive ».

Or, il est impossible de savoir quelle portion de cette somme s'est véritablement retrouvée dans les coffres de l'État canadien. Le cabinet de Diane Lebouthillier n'a pu fournir de réponses à cette question, hier.

La Presse avait déjà déposé une demande d'accès à l'information pour connaître les chiffres exacts, le 10 octobre dernier, mais l'ARC a demandé une prorogation de 60 jours avant de fournir - ou pas - une réponse.

Percy Downe estime que l'ARC « continue de se cacher derrière des propos ambigus » et tente « encore une fois de tromper les Canadiens ». Cet ancien chef de cabinet de Jean Chrétien salue néanmoins les investissements de 1 milliard annoncés depuis deux ans, et affirme que l'Agence du revenu manquait tout autant de transparence sous l'ancien gouvernement conservateur.

LA MINISTRE RÉPOND

Talonnée par de nombreux députés sur la question des paradis fiscaux, la ministre Diane Lebouthillier a continué de défendre le bilan - et les actions - de l'Agence du revenu hier à la Chambre des communes.

« Dans nos deux derniers budgets, nous avons investi près d'un milliard de dollars pour contrer les fraudeurs de l'impôt, a-t-elle avancé. Notre plan porte fruit : 627 cas ont été transférés aux enquêtes criminelles, 268 mandats de perquisition ont été effectués et il y a eu 78 condamnations. »