Les changements apportés à la réforme fiscale par le ministre des Finances Bill Morneau récemment n'ont pas permis de mettre fin à la grogne des propriétaires de petites entreprises et des autres contribuables touchés.

C'est du moins le constat que dresse le sénateur indépendant André Pratte, qui est membre du comité sénatorial permanent des finances nationales, à la suite des témoins qui ont demandé à se faire entendre sur les conséquences de cette réforme au cours des derniers jours.

Le comité sénatorial a décidé, il y a trois semaines, de tenir des audiences dans plusieurs régions du pays sur la réforme fiscale et il doit entendre le ministre Morneau lui-même mercredi à Ottawa avant de mettre le cap sur les provinces de l'Ouest.

« Malgré les changements importants qu'a annoncés le ministre des Finances, les gens ne décolèrent pas. C'est quand même étonnant parce que le ministre a abandonné des pans complets de sa réforme et il a aussi baissé le taux d'imposition pour les petites entreprises », a indiqué M. Pratte dans une entrevue à La Presse.

« Je m'attendais vraiment à ce que la grogne diminue beaucoup et que les témoins se désistent. Mais ce n'est pas le cas. » - André Pratte

M. Pratte avait même proposé à ses collègues sénateurs d'annuler la tournée nationale du comité, croyant à tort que le grand argentier du pays avait réussi à mettre fin à la tempête politique qu'il avait lui-même provoquée en dévoilant sa réforme fiscale aux conséquences inattendues pour plusieurs contribuables en plein mois de juillet. Mais à la lumière des témoignages entendus, le comité va poursuivre ses audiences.

MODIFICATIONS

Devant la levée de boucliers, le ministre Morneau a abandonné, il y a deux semaines, l'idée de modifier l'accès à l'exonération cumulative des gains en capital, comme il prévoyait le faire dans la première mouture de sa réforme.

Mais il a réitéré son intention de limiter l'utilisation de sociétés privées par des entrepreneurs et certains professionnels, comme des médecins ou des dentistes, qui se servent de cette mesure pour fractionner leurs revenus entre les membres de leur famille, même si ceux-ci ne travaillent pas pour eux, et économiser de l'impôt.

Le ministère des Finances exigera donc que les sociétés privées démontrent que les membres d'une même famille apportent une contribution notable à l'entreprise pour être en mesure de fractionner les revenus.

Aussi, le ministre a décidé de fixer un plafond annuel de 50 000 $ aux placements passifs qui pourraient être libres d'impôt pour les entreprises.

CRITIQUES

Certains des témoins entendus la semaine dernière ont soutenu que la réforme fiscale amendée du ministre Morneau ajoutera une lourdeur administrative à un régime fiscal déjà fort complexe.

« Ma présence aujourd'hui devrait représenter pour vous une forme de signal d'alarme que quelque chose ne fonctionne pas. Qu'un entrepreneur de 30 ans fasse sept heures de route un jour de semaine pour venir témoigner pendant 10 minutes devant un comité sénatorial, c'est qu'il y a quelque chose d'anormal », a laissé tomber Laurent Proulx, PDG du Groupe Le Canadien, qui a pignon sur rue à Notre-Dame-du-Bon-Conseil.

M. Proulx a notamment dénoncé les mesures visant à limiter l'utilisation des placements passifs.

« Le fait de taxer du capital accumulé dans une entreprise est fortement nuisible à la croissance économique. » - Laurent Proulx

« Je laisse de l'argent dans l'entreprise parce que je veux faire des acquisitions. J'emploie 40 personnes à Notre-Dame-du-Bon-Conseil et j'aimerais que mon entreprise prenne de l'expansion », a-t-il ajouté..

« Les changements proposés ne pourraient arriver à un pire moment pour une entreprise exportatrice comme la nôtre, surtout avec l'incertitude qui plane au sujet de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] », a pour sa part témoigné Robert Kepes, PDG de Tensor Machinery, une entreprise de Lachine qui se spécialise dans la fabrication d'équipement pour le câble de fibre optique.

Il a dit souhaiter que le gouvernement Trudeau reporte carrément cette réforme tant et aussi longtemps que le dossier de l'ALENA ne sera pas réglé.

« Les propositions qui ont été mises de l'avant encouragent carrément une guerre des classes et dépeignent les entrepreneurs comme des fraudeurs qui ne paient pas leur juste part d'impôt », a pour sa part affirmé Robert Dyke, président de Dyke & Murphy Professional Corporation, devant le comité.

Selon le sénateur indépendant André Pratte, les témoignages entendus jusqu'ici démontrent la nécessité de mener une réforme exhaustive de la fiscalité, un exercice qui n'a pas été fait à Ottawa depuis près de 50 ans.

Photo Marco Campanozzi, Archives La Presse

Le sénateur indépendant André Pratte est membre du comité sénatorial permanent des finances nationales.