Les déboires de Sears inquiètent au plus haut point ses quelque 13 000 retraités. Ils craignent depuis des années de perdre une partie de leur rente si le détaillant n'arrive plus à financer leur régime à prestations déterminées, qui est sous-capitalisé. Évidemment, la restructuration entamée jeudi ne fait qu'amplifier leur sentiment.

Au 31 janvier 2015, date de la dernière évaluation actuarielle, le régime de retraite était capitalisé à 81 %. En d'autres termes, il manquait 19 % de l'argent nécessaire pour honorer les engagements futurs. Cela équivaut à un manque de 269 millions de dollars.

« Qu'est-ce qui va arriver avec notre fonds ? C'est une bonne question. Certains retraités n'ont que ça, et des dettes », déplore Jacques Famery, lui-même retraité depuis l'an 2000.

Comme une trentaine d'autres, il participe régulièrement au déjeuner des anciens de Sears qui se tient mensuellement à Brossard. Cette semaine, les discussions au sujet du régime de retraite étaient nombreuses, rapporte-t-il, « à cause des articles qui disaient qu'ils n'avaient pas réussi à emprunter tout l'argent qu'ils voulaient ».

« On a une assurance-vie. Si Sears fait faillite, est-ce que ça va tomber ? », se demande aussi celui qui organise ces rencontres amicales depuis cinq ans, Pierre Robitaille. Retraité depuis maintenant 27 ans, il prédit que le détaillant fera faillite « dans moins d'un an ».

CALCULATEUR EN LIGNE

À l'instar de 6000 autres retraités de Sears, les deux hommes font partie de la SCRG, une organisation de bénévoles « consacrée à la protection des pensions et des avantages sociaux de la société pour tous les retraités de Sears Canada et leurs bénéficiaires survivants ».

Le site de l'organisation va jusqu'à mettre au service de ses membres un calculateur en ligne leur permettant de savoir « à quel point votre rente de retraite serait touchée si Sears déclarait faillite ».

Sears est tenue d'effectuer des versements au fil du temps pour combler les déficits actuariels, « mais si la société déclare faillite, elle cessera ces versements et votre rente de retraite sera réduite en fonction du montant dans le fonds à cette date », explique la SCRG.

« Tous les retraités sont inquiets car Sears est l'administrateur du fonds. Peu importe le pourcentage d'amputation, quand c'est ton argent, tu n'aimes pas le perdre. Surtout quand tu as été dévoué sur le plancher pendant 30 ans », souligne Claude Sénéchal, ex-grand patron de Sears au Québec et membre du conseil d'administration de l'association des retraités.

AIDE D'OTTAWA RÉCLAMÉE

Au fil des ans, l'organisation a demandé aux élus de « mieux protéger les retraités des entreprises qui font faillite ». L'an dernier, une lettre a notamment été transmise au ministre de l'Innovation, des Sciences et du Développement économique, Navdeep Bains, pour l'informer des « effets de la liquidation des actifs de Sears sur ses retraités ». La SCRG dit ne pas avoir reçu de réponse.

Les retraités déplorent que les actifs de Sears, surtout des baux, aient été vendus pour « financer les pertes d'exploitation » et verser d'importants dividendes aux actionnaires, principalement à Edward Lampert, propriétaire du fonds américain ESL. « La liquidation des actifs et le paiement de trois milliards et demi de dollars aux actionnaires [depuis 10 ans] ont laissé Sears Canada pratiquement insolvable », mentionne la missive.

ESL Investments possède 23,07 % des actions de Sears Canada et Edward Lampert, 22,24 %, selon les plus récentes données de Thomson Reuters.

Dans une lettre qu'il a personnellement envoyée l'an dernier au ministre Bains, Jacques Famery rappelle que les retraités de Sears, comme les autres créanciers non garantis, seront « laissés sur le carreau », advenant la faillite du détaillant. « Les Canadiens méritent une protection contre cette tendance croissante de la liquidation des actifs », écrit-il, implorant Ottawa de protéger les retraités canadiens contre « les profiteurs sans scrupules des fonds spéculatifs américains ».

ESL Investments n'a pas rappelé La Presse vendredi.