Une analyse économique prévoit que la légalisation de la marijuana au Canada irait gruger une part de marché de moins de 1 % à tout le secteur de l'alcool, du moins à court terme.

La firme de consultants Anderson Economic Group, de New York, estime que la légalisation de la marijuana dite «récréative» ira ravir 160 millions $ à l'industrie de l'alcool au Canada, dont les ventes annuelles se chiffrent actuellement à 22,1 milliards $. Mais cette concurrence pourrait s'accentuer à mesure que l'offre de marijuana sera bien installée.

Quoique de nombreuses variables demeurent encore inconnues pour l'instant, la firme américaine a fondé ses prévisions sur les ventes d'alcool dans les États américains où la marijuana a déjà été légalisée. On a aussi pris en compte des facteurs foncièrement canadiens comme les habitudes de dépenses, le revenu disponible et la démographie.

Le gouvernement fédéral souhaite légaliser la marijuana récréative le 1er juillet 2018.

La firme new-yorkaise estime que le marché de la bière, qui vaut environ 9,2 milliards $ au Canada, devrait perdre 70 millions $ la première année de légalisation de la marijuana. On croit par ailleurs que les consommateurs ne changeront pas leurs habitudes du jour au lendemain, et que cette tendance pourrait donc évoluer avec le temps.

Un rapport de la firme Deloitte a estimé que toute l'industrie canadienne de la marijuana pourrait valoir jusqu'à 22,6 milliards $ par année, dont 4,9 à 8,7 milliards $ en ventes seulement; le reste proviendrait de secteurs connexes comme la production, les laboratoires de tests et la sécurité.

L'analyste Vivien Azer, de la firme américaine de recherche Cowen and Company, prévoit que le secteur de l'alcool pourrait être soumis à une forte pression au cours des dix prochaines années si les jeunes continuent à délaisser l'alcool. Dans un rapport publié le mois dernier, Mme Azer notait qu'environ 82 % des 18-29 ans en Ontario avaient consommé de l'alcool en 2015, une baisse de 5,5 points de pourcentage depuis 2008; l'usage de la marijuana, pendant ce temps, demeurait stable autour de 35 %.

Optimisme prudent

Chez Molson Coors Canada, deuxième brasseur au pays, on soutient que les données sur la légalisation de la marijuana ne sont pas encore concluantes, mais on admet suivre la situation de près. «On ne peut pas dire, je crois, que nous sommes préoccupés», a soutenu en entrevue le président et chef de la direction, Frederic Landtmeters. «Nous sommes conscients que cela pourrait avoir un impact» sur les ventes de bière.

Luke Harford, président de l'association Bière Canada, croit que l'industrie est davantage menacée par le vieillissement de la population et les taxes relativement élevées sur ces produits. «Nous considérons que contrairement à la marijuana, la bière est ancrée dans une longue tradition au Canada, et qu'elle participe aux occasions spéciales et aux célébrations», a-t-il soutenu.

M. Harford souhaite par ailleurs qu'au chapitre des taxes de vente, le gouvernement canadien ne favorisera pas la marijuana au détriment de l'alcool. «On ne veut pas se battre avec une main attachée derrière le dos», a prévenu M. Harford, dont l'association représente des brasseurs qui comptent pour 90 % du marché de la bière nationale vendue au Canada.

Du côté des spiritueux, le président de l'association Spirits Canada, Jan Westcott, estime que les pronostics sur l'impact de la marijuana sont pour l'instant extrêmement spéculatifs. «Lorsque vous arrivez à de si petites parts de marché, on peut mettre en doute l'exactitude de toute projection», croit-il.