Le Nobel d'économie américain Joseph Stiglitz a prévenu son «amie» Chrystia Freeland, ministre du Commerce international, que le Canada devrait rejeter le Partenariat transpacifique (PTP), un accord commercial bancal, selon lui, qui profitera à la grande entreprise au détriment des travailleurs.

M. Stiglitz, professeur à l'Université Columbia, à New York, prononçait vendredi une allocution dans le cadre d'une conférence de l'Université d'Ottawa sur le PTP. Selon l'économiste, l'accord multilatéral mettrait des bâtons dans les roues de ce gouvernement libéral dans deux dossiers clés de son programme: la lutte aux changements climatiques et l'amélioration des relations avec les Autochtones.

Selon le prix Nobel d'économie de 2001, le PTP réduira par ailleurs le pouvoir de négociations des travailleurs, notamment sur leurs salaires, et fera perdre beaucoup d'emplois au Canada. M. Stiglitz a aussi soutenu que le Canada - et les autres signataires - pourraient avoir des difficultés à légiférer en matière de salaire minimum, de programme de discrimination positive et d'évaluations environnementales, par exemple.

En entrevue à La Presse Canadienne, M. Stiglitz raconte qu'il a fait part de ses inquiétudes directement à la ministre Freeland, en janvier dernier, lorsqu'ils se sont croisés au forum économique de Davos. Il soutient qu'il aurait réitéré ses commentaires vendredi à Ottawa si sa «vieille amie» avait été en ville.

«Je crois que (les libéraux) sont franchement inquiets. Il est clair qu'il s'agit là d'un enjeu délicat. Ils ne veulent pas, je pense, se commettre. Mais ils se disent ouverts, à l'écoute.»

Le porte-parole de la ministre Freeland, Alex Lawrence, était sur place pour entendre l'allocution de l'économiste. Il a indiqué que le gouvernement libéral veut garder un esprit ouvert et respectera sa promesse de consulter largement les Canadiens.

Le Canada, les États-Unis, le Japon et une dizaine d'autres pays du pourtour du Pacifique ont conclu en octobre une entente de principe pour la création de cette vaste zone de libre-échange entre des pays qui représentent environ 40 pour cent de l'économie mondiale.

Le comité des Communes sur le commerce international procède actuellement à l'examen du PTP, et parcourra le pays pour entendre les Canadiens, une procédure parlementaire qui pourrait durer jusqu'à neuf mois, selon la ministre Chrystia Freeland. À l'issue de cet examen, la ratification par le Canada de cet accord commercial, négocié par le précédent gouvernement conservateur, devra nécessairement passer par un vote au Parlement, a promis la ministre Freeland.

Le Canada a signé en février l'entente de principe conclue par 12 pays en octobre, à quelques jours des élections fédérales. Mais cette signature constitue une «technicité» et ne présume pas d'une ratification future de l'accord, a prévenu la ministre Freeland.

Le Nobel Stiglitz soutient qu'il a conseillé à son amie canadienne de «prendre son temps, de voir d'où souffle le vent».

Aux États-Unis, les candidats à la présidence - aussi bien républicains que démocrates - sont tous opposés au PTP en l'état, parce qu'ils savent que l'opinion publique n'y est pas majoritairement favorable, rappelle M. Stiglitz.

Selon lui, cela réduit la pression sur le premier ministre Justin Trudeau, même si le président Barack Obama insiste. «(Les libéraux) doivent se rappeler que c'est un canard boiteux (...) alors que Trudeau est là pour un bon bout de temps. C'est lui qui devra travailler avec ceux qui lui auront dit: «nous sommes contre'.»