Outre y consacrer des fonds supplémentaires, quelles mesures doit-on adopter pour lutter contre les paradis fiscaux ? Les conservateurs et les libéraux ne veulent pas se commettre, les néo-démocrates s'en tiennent à des « généralités », tandis que seul le Bloc québécois propose clairement des changements majeurs aux lois fiscales fédérales, selon Luc Grenon, professeur en droit fiscal de l'Université de Sherbrooke.

En cette fin de campagne électorale, La Presse a sollicité l'aide d'André Lareau, professeur en droit fiscal à l'Université Laval, afin d'élaborer quatre mesures qui permettraient, à son avis, de mieux lutter contre les paradis fiscaux et de favoriser une meilleure équité fiscale. La Presse a demandé aux quatre principaux partis fédéraux s'ils étaient d'accord avec ces quatre mesures (voir capsule) et s'ils avaient d'autres propositions.

Le Bloc québécois s'est dit pour les quatre mesures, le Nouveau Parti démocratique (NPD) est d'accord avec deux des quatre mesures, mais reste plus vague sur les deux autres, le Parti conservateur du Canada dit « soutenir les travaux de l'Organisation de coopération et de développement économiques » (la première mesure) et le Parti libéral du Canada n'a pas voulu se prononcer en campagne sur les mesures en question.

À la demande de La Presse, un deuxième expert, le professeur en droit fiscal Luc Grenon, de l'Université de Sherbrooke, a analysé les réponses des partis politiques. « Les conservateurs parlent de leur bilan, mais ne répondent pas aux questions, le refus de répondre du Parti libéral n'a aucun sens et le NPD s'en tient souvent à des généralités. Le Bloc québécois a fourni les réponses les plus sérieuses et les plus exhaustives. L'exercice a été pris au sérieux par les gens du Bloc, qui ont l'air de bien connaître ce dossier », dit Luc Grenon.

Le fiscaliste Luc Grenon n'est ni « déçu » ni « surpris » que les questions d'équité, d'évasion et de fraude fiscales ne prennent pas une grande place dans la campagne électorale. « Ce n'est pas un enjeu sexy pour aller chercher des votes, dit-il. Mais ce n'est pas parce qu'on n'en parle pas en campagne que ces enjeux ne seront pas pris au sérieux [après les élections]. »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Quatre mesures

Les quatre mesures proposées par André Lareau, professeur en droit fiscal à l'Université Laval : 

- Adopter de façon intégrale les 15 actions recommandées la semaine dernière par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et le G20 sur l'érosion de la base d'imposition.

- Modifier la loi fiscale fédérale pour interdire aux entreprises canadiennes de rapatrier sans impôt les profits de leurs sociétés affiliées dans des paradis fiscaux (c'est actuellement permis si le pays a une convention fiscale avec le Canada, comme la Barbade). 

- Introduire une pénalité minimale pour les divulgations volontaires. 

- Donner une directive formelle à l'Agence du revenu du Canada pour réclamer davantage de peines d'emprisonnement selon les peines prévues actuellement dans la loi.

Les propositions des quatre principaux partis

La Presse a demandé aux quatre principaux partis fédéraux de se prononcer sur les mesures suggérées par le professeur de droit fiscal André Lareau afin de lutter contre les paradis fiscaux et favoriser une meilleure équité fiscale. 

1) OCDE

L'enjeu

À la suite de plusieurs années de consultation internationale, l'OCDE et le G20 viennent de déposer 15 actions pour contrer l'érosion de la base d'imposition. On propose notamment de modifier les règles sur le prix de transfert et la notion d'établissement. Ces propositions toucheraient notamment l'imposition des multinationales. « Jusqu'à maintenant, on tenait trop compte de la réalité juridique et non de la réalité économique dans la notion d'établissement », dit Luc Grenon, professeur de droit fiscal à l'Université de Sherbrooke.

Ce qu'ils proposent

Le NPD et le Bloc québécois sont clairs : ils sont pour l'application des 15 actions de l'OCDE au Canada. Le Parti conservateur « s'engage à revoir les recommandations [...] pour étudier lesquelles sont en place et l'impact de celles qui ne le sont pas et que nous devrions adopter », indique sa porte-parole Catherine Loubier, soulignant que « n'importe quel gouvernement en campagne électorale procéderait de la sorte ». Le Parti libéral du Canada n'a pas répondu à la question.

2) Rapatrier les profits

L'enjeu

L'article 113 de la loi fiscale fédérale permet à une entreprise de rapatrier au Canada les profits d'une société étrangère affiliée sans payer d'impôt, pourvu que la société étrangère soit située dans un pays signataire d'une convention fiscale ou d'un accord d'échanges de renseignements avec le Canada. Or, le Canada a signé des conventions fiscales avec plusieurs paradis fiscaux, dont la Barbade, dont le taux d'imposition des sociétés varie entre 0,25 % et 2,5 %. Résultat : il est possible de rapatrier sans impôt des profits de sociétés affiliées étrangères qui ne paient presque pas d'impôts à la Barbade.

Ce qu'ils proposent

Le NPD promet de « soumettre l'article 113 à une analyse approfondie [...] avec l'objectif de veiller à une meilleure équité tout en préservant les incitatifs pour garder les entreprises au Canada et leur permettre de rapatrier leurs profits ici ». Le Bloc québécois se dit « ouvert à étudier la question », mais a « des réserves », notamment quant à l'impact d'un changement sur le « tissu industriel québécois ». Le Bloc suggère d'amender le règlement sur l'impôt pour que les sociétés situées à la Barbade ne puissent plus profiter de cet avantage fiscal. Le Parti conservateur et le Parti libéral ne se sont pas prononcés directement sur cette question.

3) Des pénalités pour les divulgations volontaires

L'enjeu

Actuellement, un contribuable qui a de l'argent à l'étranger peut faire une divulgation volontaire sans payer de pénalité (le contribuable doit toutefois payer les impôts et les intérêts). Le professeur André Lareau propose d'instaurer une pénalité minimale, par exemple de 30 %.

Ce qu'ils proposent

Le NPD se dit « pour l'établissement d'une pénalité minimale » et « travaillera avec des experts en fiscalité afin de déterminer le meilleur seuil possible ». Le Bloc québécois suggère une pénalité de 50 %, comme aux États-Unis. Le Parti conservateur ne se prononce pas, mais rappelle que le nombre de divulgations volontaires a augmenté sous son règne (plus de 100 000 divulgations représentant 8 milliards de dollars depuis 2006). Le Parti libéral n'a pas répondu à la question.

4) Davantage de peines d'emprisonnement

L'enjeu

Les lois fiscales prévoient des peines d'emprisonnement, mais le professeur André Lareau estime qu'elles sont très rares et suggère de donner une directive formelle à l'Agence du revenu du Canada pour en réclamer davantage, dans les limites des lois fiscales actuelles.

Ce qu'ils proposent

Le Bloc québécois est favorable à cette proposition. Le NPD veut « travailler avec les experts [...] afin de nous assurer que le gouvernement fédéral est capable à la fois de récupérer les revenus perdus et de traduire les responsables en justice ». Le Parti conservateur fait valoir que le gouvernement Harper « agit pour combattre l'évasion fiscale », soulignant que le programme des enquêtes criminelles de l'Agence du revenu du Canada « a permis de condamner 98 contribuables pour de l'évasion fiscale représentant 27 millions et entraînant 629 mois d'emprisonnement ». Le Parti libéral ne s'est pas prononcé sur cette mesure.

5) D'autres idées

Le Parti libéral du Canada fait valoir « qu'advenant [son] élection, [il verra] quelles sont les meilleures pratiques pour lutter contre l'évasion fiscale », dit sa porte-parole Geneviève Hinse. Les libéraux veulent notamment investir 80 millions de plus sur quatre ans pour lutter contre l'évasion fiscale, en plus des sommes supplémentaires déjà annoncées au dernier budget conservateur. Dans le dernier budget, le gouvernement Harper a alloué 201,2 millions sur cinq ans pour lutter contre l'évasion fiscale internationale, l'économie clandestine et l'évitement fiscal. « Il n'y a pas plus grand défenseur des victimes et des honnêtes payeurs de taxes que le Parti conservateur. Nous ne tolérons pas les crimes commis par les criminels à cravate », indique Catherine Loubier, porte-parole du PCC.