S'ils voulaient vraiment faire reculer le tabagisme, les gouvernements faciliteraient la vente de produits contenant moins de nicotine comme la cigarette électronique, a martelé hier la grande patronne d'Imperial Tobacco Canada, Marie Polet. Le hic, a-t-elle ajouté, c'est qu'ils sont «devenus accros aux revenus du tabac».

«Selon moi, les intervenants et les organismes de réglementation en matière de santé devraient faire preuve d'une plus grande ouverture à l'égard de nouveaux produits susceptibles d'avoir un impact positif sur la société. Dans certains cas, ils refusent systématiquement de reconnaître les bienfaits potentiels des avancées scientifiques et s'entêtent à réglementer ces nouveaux produits avant même de les comprendre. C'est à se demander si certains militants santé ne sont pas d'abord anti-industrie avant d'être pro-santé», a déclaré Mme Polet devant le Cercle canadien de Montréal.

La dirigeante d'origine belge a souligné que des médecins, parmi lesquels le Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l'Institut de cardiologie de Montréal, demandent à Ottawa de légaliser la cigarette électronique avec nicotine, qui est interdite au pays depuis 2009. Selon eux, ce produit pourrait sauver la vie de milliers de fumeurs parce qu'il contient beaucoup moins de nicotine que les cigarettes traditionnelles.

Marie Polet a donné un autre exemple: le «snus». En 2007, Imperial Tobacco a lancé au Canada ce «tabac sans combustion à usage oral» populaire en Scandinavie. D'après l'entreprise, il comporte moins de risque pour la santé que la cigarette. À preuve, a dit Mme Polet, la Suède «a le taux de cancer du poumon le plus faible des pays industrialisés».

«Bien qu'Imperial Tobacco ait déployé des efforts considérables pour la mise en marché de ce produit, les ventes se sont avérées très décevantes, a relaté Marie Polet. La raison étant que ce produit a été réglementé comme une cigarette, alors qu'il ne s'agit pas du tout de ça.» L'entreprise a fini par retirer son snus du marché canadien.

«À quel moment la réglementation gouvernementale franchit-elle la limite du raisonnable pour devenir excessive et, dans certains cas, contre-productive? À quel moment la réglementation empiète-t-elle sur les droits des consommateurs et les empêche-t-elle de prendre leurs propres décisions?», a demandé la PDG, qui a toutefois refusé de répondre aux questions des médias hier.

Mario Bujold, directeur général du Conseil québécois sur le tabac et la santé, a fortement réagi aux propos de Mme Polet. «Ce que l'industrie veut d'abord et avant tout, ce n'est pas la santé de la population, mais de vendre des produits pour faire des profits», a-t-il affirmé.

Pour lui, il n'y a aucune étude scientifique crédible prouvant que des produits comme la cigarette électronique ou le snus font reculer le tabagisme.

«Il n'y a pas d'excès de réglementation en ce qui concerne l'industrie du tabac, a insisté M. Bujold. Pourquoi? Parce que c'est une industrie qui n'est vraiment pas comme les autres. Le tabac est le seul produit de consommation qui tue un consommateur sur deux lorsqu'on l'utilise tel que recommandé. C'est la réalité.»

État surprotecteur?

Marie Polet s'est inquiétée que le Canada se transforme en un «État surprotecteur» qui dicterait quoi faire à ses propres citoyens. Dans le cas du tabac, elle croit savoir pourquoi: les gouvernements sont plus que jamais dépendants financièrement de l'industrie. Rappelons qu'au cours des deux dernières années, Québec et Ottawa ont augmenté les taxes sur le tabac.

«Tant et aussi longtemps qu'ils feront de l'industrie du tabac leur bouc émissaire, les gouvernements pourront renflouer leurs coffres tout en répétant aux électeurs que la santé publique constitue leur priorité», a-t-elle dénoncé.

La dirigeante a indiqué que la société mère d'Imperial, British American Tobacco, permettait aux gouvernements des pays où elle est présente de générer des revenus fiscaux de plus de 60 milliards CAN par année.

Comme les cigarettiers le font depuis des années, Mme Polet a déploré la forte présence de la contrebande au pays. À ses yeux, le Canada détient le «triste record» du monde industrialisé en la matière, côtoyant des pays comme le Nigeria.

Si les sociétés de tabac ont été une «cible facile» des gouvernements au début, d'autres industries s'apprêtent à goûter à cette médecine: celles du sucre, de la malbouffe, des organismes génétiquement modifiés, de l'alcool et des aliments transformés, a prévenu Marie Polet. Elle a noté avec ironie, sourire en coin, que l'Organisation mondiale de la santé avait récemment estimé que le sucre pourrait être plus dangereux que le tabac en raison de sa consommation beaucoup plus répandue.

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BRITISH IMPERIAL TOBACCO

> En bref: British Imperial Tobacco, société mère d'Imperial Tobacco

> Siège social: Londres

> Nombre d'employés au Canada: environ 600

> Revenus en 2013: 28,1 milliards CAN

> Profits nets en 2013: 7,2 milliards CAN

> Dans son rapport annuel, le conglomérat précise que ses bénéfices ont augmenté au Canada en 2013 grâce aux bonnes ventes des produits «premium», à des hausses de prix et à une diminution des coûts. Les volumes et les parts de marché d'Imperial Tobacco ont toutefois reculé.

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LA CIGARETTE AU CANADA

Pourcentage de fumeurs au Québec, population de 15 ans et plus:

> 1999: 30,3%

> 2012: 17,1%

Cigarettes vendues au Canada:

> 2000: 43,4 milliards

> 2011: 31,1 milliards

Taxes sur le tabac récoltées par les gouvernements en 2011-2012 au Canada (en excluant les taxes de vente habituelles):

> 7,4 milliards

Parts de marché des fabricants au Canada (2012):

> Imperial Tobacco: 51,2%

> Rothmans, Benson&Hedges: 33,5%

> JTI-Macdonald: 14,8%

Estimation du marché de la contrebande au Canada (en pourcentage du marché):

> 17,7%

Sources: Santé Canada, Association pour les droits des non-fumeurs, Citigroup, rapports financiers des entreprises, Médecins pour un Canada sans fumée