La décision de Postes Canada de mettre fin à la livraison à domicile ne signifie pas que les «boîtes postales communautaires» se multiplieront sur les trottoirs de Montréal et des autres grandes villes du pays, assure l'un des hauts dirigeants de la société d'État.

«On va consulter les gens. On ne va pas arriver en imposant des solutions. Les gens ont peut-être pensé qu'on allait mettre des boîtes communautaires sur les trottoirs. Ce n'est pas le cas», a déclaré hier Jacques Côté, grand patron du réseau de livraison physique de Postes Canada, en entrevue éditoriale à La Presse.

La direction s'est donné cinq ans pour mener à terme cette petite révolution qui a suscité de fortes réactions d'un océan à l'autre. Il faut dire que le Canada deviendra vraisemblablement le premier pays du monde à abandonner complètement la livraison de porte en porte au profit de la distribution «centralisée». Économies annuelles attendues: 500 millions.

Pour faciliter la transition, Postes Canada commencera par les banlieues, où il y a plus d'espace pour installer des boîtes postales. Dans les zones densément peuplées, la société d'État ne sait pas encore précisément comment elle s'y prendra pour remplacer la livraison à domicile, mais elle songe à mettre à contribution les commerçants. Des boîtes postales pourraient être installées dans des dépanneurs, des nettoyeurs et des pharmacies.

«Il y a déjà quelques chaînes qui nous ont approchés pour nous dire qu'elles pourraient être intéressées, a affirmé M. Côté. Pour un petit commerce, c'est attrayant. Si on met des boîtes postales pour 100 ménages dans un commerce, ça fait 100 personnes de plus par jour qui y entrent. Et souvent, elles vont en profiter pour acheter quelque chose.»

Le dirigeant a aussi évoqué l'idée que la société d'État loue des locaux commerciaux pour y placer des boîtes postales, comme elle le fait déjà à Edmonton, en Alberta.

Réaction favorable

Yves Servais, directeur général de l'Association des marchands dépanneurs et épiciers du Québec, a dit voir d'un bon oeil la possibilité que des commerces hébergent des boîtes postales, mais pas à n'importe quel prix. Dans le secteur du commerce de détail, a-t-il souligné, chaque pied carré d'espace doit rapporter.

«Il va falloir que Postes Canada soit prête à mettre la main dans sa poche pour donner une certaine rémunération aux détaillants, et non juste invoquer l'argument que ça va créer un achalandage additionnel», a-t-il prévenu.

Des entreprises de courrier privées recourent déjà aux petits commerçants pour bonifier leur réseau de distribution. Le géant américain UPS s'est associé à une soixantaine d'entre eux au Québec, parmi lesquels on trouve des nettoyeurs, des pharmacies, des dépanneurs, des papeteries et des magasins d'électronique. Aux États-Unis, le détaillant en ligne Amazon a installé des casiers «Amazon Locker» dans des dépanneurs 7-Eleven.

Postes Canada pourrait-elle envisager de maintenir la livraison à domicile pour les personnes âgées ou les handicapés? «Rien n'est impossible», a répondu Jacques Côté, qui précise toutefois qu'il ne serait pas simple d'exploiter un tel système à deux vitesses.

Aînés et handicapés

Mercredi, le PDG de Postes Canada, Deepak Chopra, en a choqué plus d'un en affirmant que des personnes âgées percevaient favorablement les boîtes postales communautaires parce que celles-ci allaient leur permettre de faire de l'exercice. Hier, son collègue Jacques Côté a fait preuve de plus de compassion. «Si on le pouvait, on ne changerait rien au système, on n'affecterait pas les personnes, a-t-il dit. On sait que ça crée des problèmes énormes à certains, comme les aînés et les handicapés.» Mais selon lui, chacun finira par trouver des solutions. «C'est comme n'importe quoi: après un certain nombre d'années, les gens vont dire «c'est pas si pire que ça». On s'habitue à tout.»

Une tendance inéluctable

Le volume de lettres diminue de 5 à 7% par année, et personne ne sait quand la chute s'arrêtera. En 2013, cela se traduira par une perte de revenus d'environ 150 millions pour Postes Canada. «Il nous faut un système postal conçu pour des volumes de lettres de plus en plus faibles», a fait remarquer Jacques Côté. Les revenus provenant de la livraison de colis sont en hausse de 7% cette année, mais cette augmentation est insuffisante pour compenser le recul des lettres. Celles-ci représentent encore la moitié du chiffre d'affaires de Postes Canada, contre 25% pour les colis et 25% pour la publicité.

Un jour sur deux?

Plusieurs citoyens préféreraient que Postes Canada livre le courrier seulement trois jours par semaine plutôt que de sabrer la distribution à domicile, a reconnu Jacques Côté. Mais les entreprises s'opposent fermement à toute réduction de la fréquence de livraison. «FedEx et UPS offrent la livraison le lendemain entre les grands centres, a dit M. Côté. Comment rivaliserait-on avec eux si on livrait seulement une journée sur deux?» C'est sans compter que plusieurs détaillants veulent que leurs circulaires soient livrées un jour précis de la semaine.

Prix des timbres

L'un des commentaires que l'on a souvent entendus à propos du «plan d'action» de Postes Canada, c'est que la société d'État réduit ses services tout en augmentant ses tarifs. Au printemps, le prix d'un timbre passera de 63 cents à 1,00$ (85 cents à l'achat d'un carnet ou d'un rouleau). Jacques Côté a relevé qu'à peine 20% de l'effort nécessaire pour combler le manque à gagner anticipé de 1 milliard en 2020 viendra des hausses de tarifs et que le reste viendra des réductions de coûts. «Je ne pense pas que l'augmentation des prix aura un impact positif ou négatif sur l'érosion des volumes de courrier», a dit M. Côté.

Photo Édouard Plante-Fréchette, La Presse

Jacques Côté