«Offrez une expérience de cybercommerce inégalée!» On pourrait croire qu'il s'agit du slogan d'une entreprise en démarrage dans les TI ou de consultants en marketing. Mais c'est plutôt le pitch de vente de Postes Canada, qui se donne comme objectif d'accroître... vos achats en ligne.

«Notre rôle est d'augmenter le nombre de colis expédiés et pour cela, on doit rendre l'expérience de magasinage plus intéressante», lance René Desmarais, premier vice-président colis, à Postes Canada, au cours d'une visite du centre de tri Léo-Blanchette, à Saint-Laurent, avec La Presse Affaires.

Le temps où la société d'État se contentait de transporter des envois du point A au point B est révolu, martèle celui qui a auparavant dirigé CTV, Astral Affichage et Yves Rocher. Aujourd'hui, les ambitions ressemblent plutôt à ceci: «Je veux rendre Beyond The Rack [détaillant en ligne montréalais] champion du monde dans la livraison et l'expérience globale!»

Il faut dire que Postes Canada n'a plus le choix de se réinventer. En six ans, le nombre de lettres a chuté de 1 milliard. Une dégringolade qui n'est pas près d'arrêter, selon le Conference Board qui prévoit une autre baisse de 27% d'ici 2020.

Cette érosion s'est traduite par une perte avant impôts de 36 millions au cours de la première moitié de l'année. Postes Canada doit aussi combler le déficit du régime de retraite de ses employés, qui frôle les 6 milliards. Sa situation financière est tellement critique qu'on envisage même d'abandonner la livraison du courrier de porte en porte, a révélé la ministre des Transports Lisa Raitt à CBC.

Trop cher, trop compliqué

À l'ère du cybercommerce, le colis - tout ce qui est trop gros pour entrer dans le sac d'un facteur - est vu comme un sauveur. Ou du moins, une partie de la solution. Car René Desmarais demeure réaliste. Les revenus de ce créneau ne compenseront pas à court ou moyen terme le déclin du volume de lettres, calcule-t-il.

Postes Canada fait le pari qu'en aidant les détaillants à améliorer l'expérience de magasinage sur le site, les internautes achèteront davantage. C'est vrai que l'expédition n'est pas qu'un détail parmi tant d'autres. Une récente étude du groupe Forrester révélait que 68% des Canadiens sont préoccupés par les coûts de livraison, 56% jugent les retours trop compliqués et 31% craignent de ne pas être à la maison quand le facteur passera.

Les initiatives s'adressant aux détaillants et aux cyberacheteurs se multiplient donc. Depuis près d'un an, Postes Canada offre la livraison directement au bureau de poste. L'internaute peut ainsi demander de recevoir ses achats à proximité de son travail ou de son chalet, si c'est plus pratique pour lui. Ce service accommode aussi ceux qui veulent protéger leurs achats contre le vol et les aléas de la météo (maquillage qui fond à la chaleur, vin qui gèle, etc.).

Le détaillant québécois de vêtements pour femmes Laura a été le premier du pays à l'offrir. «Un mois après notre lancement, 10% de nos clients utilisaient l'option d'expédier directement à un bureau de poste de leur choix et depuis, nous parlons d'un taux qui se situe entre 5% et 10%", indique Sam Barnes, directeur du commerce électronique de l'entreprise. Dix mois plus tard, aucun autre détaillant n'a cependant imité Laura.

Pas encore «rendu là»

On est loin du succès escompté, reconnaît Postes Canada. Ce n'est pas le Conference Board qui va s'en étonner. Son étude L'avenir du service postal au Canada (avril 2013) affirme que les clients résidentiels «sont de plus en plus mécontents d'avoir à se déplacer pour ramasser leur colis [au bureau de poste]".

«Les détaillants ne sont pas encore rendus là. Ils sont en train de s'organiser [pour la vente en ligne], de changer leur plateforme ou leur site. Leurs préoccupations ne sont pas dans la mise en marché et l'exécution», justifie plutôt René Desmarais. C'est d'ailleurs l'un des arguments maintes fois utilisés par le vice-président pour expliquer la faible utilisation par les commerçants de ses nouveaux services. «On est en avant de la courbe pour être prêts quand ils le seront.»

Vaudrait-il mieux livrer les colis en soirée, quand les chaumières ne sont pas désertes? C'est exactement ce qu'on teste dans la région du Grand Toronto, depuis la mi-septembre. Tout ce qui est commandé en ligne avant 14h est livré au centre-ville avant 22h, pour 9$. Walmart, Future Shop, Indigo et Best Buy testeront cette option baptisée «Livré ce soir» jusqu'en décembre. Si les résultats sont concluants, le service pourrait être offert l'an prochain à Montréal.

Les retours, nerf de la guerre

Pour rivaliser avec les géants américains UPS et FedEx qui sont «très agressifs sur les prix» et «se concentrent surtout dans les villes», la société d'État vante ses atouts «uniques» dans le marché. «Nous, on a accès aux condos et aux immeubles d'habitation. On a les clés, pas nos concurrents», souligne René Desmarais. De plus, «tout le monde est proche d'un bureau de poste», puisqu'il y en a 6400 au pays. En comparaison, FedEx compte 61 succursales et 1141 points de dépôt, tandis que UPS regroupe 510 points d'accès.

Cette accessibilité facilite les retours, considérés comme trop compliqués par une majorité de consommateurs, avance Postes Canada. Son système «plus flexible» permet aux internautes qui n'ont pas d'imprimante de fournir verbalement un numéro de retour au commis qui se charge du reste. Et «si un détaillant nous dit de faire passer le prix du retour de 2 à 3$, on s'ajuste [dans tous les bureaux de poste] dès le lendemain», raconte René Desmarais.

C'est grâce à ses milliers de comptoirs que Postes Canada aurait été appelé à la rescousse par Lululemon pour gérer son rappel massif de pantalons de yoga "transparents", le printemps dernier. Le détaillant de Vancouver, qui utilise d'ordinaire les services de FedEx, a toutefois refusé de dire à La Presse Affaires pourquoi il avait préféré la société d'État à ses rivaux.

Suivre à la trace

Le suivi précis de son colis, grâce à la lecture plus fréquente des codes à barres, est un autre front sur lequel le service postal travaille. Angoissés parce que leur commande n'arrive pas assez vite, les consommateurs sont nombreux à téléphoner pour savoir où elle est rendue. En moyenne, les gens vérifient 4 ou 5 fois l'état de leur commande. Et un appel coûte en moyenne 5$ aux détaillants, affirme Postes Canada.

Une majorité des commerces renvoient leurs clients sur le site de Postes Canada. René Desmarais essaie de les convaincre d'afficher l'information sur leur propre site et de profiter de cet achalandage virtuel pour vendre des produits complémentaires.

Pour le moment, 316 détaillants peuvent théoriquement offrir le suivi en ligne, mais «très peu» l'offrent, déplore René Desmarais.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

René Desmarais, premier vice-président colis, à Postes Canada. 

Même des couches et des télés...

Qui achète quoi sur le web? Sans trop s'en rendre compte, les employés de Postes Canada sont aux premières loges des nouvelles habitudes de consommation des Canadiens.

Le directeur du gigantesque centre de tri de l'arrondissement de Saint-Laurent, Emmanuel Manioudakis, passe devant un monoteneur (grosses cages en métal) plein de boîtes de couches. Des Pampers, surtout. Il n'y fait pas attention, jusqu'au moment où nous cessons subitement de marcher pour regarder cette curiosité de près.

Les étiquettes nous apprennent qu'elles ont toutes été achetées sur walmart.ca. La plupart s'en iront dans le Grand Nord, à Inukjuak, Puvirnituq ou Pond Inlet au Nunavut. «Des couches, toutes les années, j'en vois plus!», lance notre guide.

Ce n'est pas la seule nouveauté qu'il peut nommer. Il y a cinq ans, il ne voyait à peu près jamais de téléviseur se balader sur ses tapis roulants avant d'atterrir dans ses monoteneurs. Aujourd'hui, «il y en a plein». Il faut dire qu'il n'y a pas si longtemps encore, les téléviseurs à tubes pesaient une tonne!

Nouveaux produits, nouveaux pays, aussi... Il aurait été impensable il y a une décennie de commander en Chine un adaptateur à 6$, un simple fil ou un chandail du Canadien,  aujourd'hui, c'est un jeu d'enfant grâce au web. D'ailleurs, le nombre de colis venus de Chine a bondi de 55%, en 2012, par rapport à l'année précédente.

«Des petites enveloppes comme ça, de trois par quatre pouces avec des pièces électroniques, des piles, des fils, des étuis d'iPhone, on en reçoit à la tonne. Ça monte comme ça», lance le premier vice-président colis, René Desmarais, en pointant sa main vers le plafond.

Postes Canada est aussi un spectateur privilégié de la croissance (ou de la décroissance) des détaillants.

«Beyond the Rack est rendu assez gros pour qu'on aille chercher son camion de livraison dans sa cour et qu'on l'amène ici quelques fois par jour pour le vider», relate René Desmarais, premier vice-président Colis. Cette success-story montréalaise de la vente en ligne remplit entre 100 et 150 monoteneurs par jour. Il y a quelques années à peine, ses colis se comptaient en dizaines. Aujourd'hui, il s'agit du plus important client du centre de tri Léo-Blanchette.

Et on peut pratiquement deviner si la valeur du dollar canadien est en hausse ou en baisse en regardant le flux de colis sur les tapis roulants, poursuit le dirigeant. «Dès que le huard atteint la parité avec le billet vert, on voit qu'il y a plus d'achats aux États-Unis.»

Bientôt, 10% des achats seront effectués en ligne au Canada.

Portrait-robot... d'un nouveau robot

Les 14 personnes affectées au codage des 55 000 colis reçus en moyenne chaque jour au centre de tri Léo-Blanchette ne fournissent plus à la demande.

C'est la faute d'Amazon et d'eBay, mais aussi de Best Buy, Walmart et Beyond The Rack. Leur popularité a fait bondir d'environ 6% l'an dernier le nombre de paquets et de colis en transit au pays. Une bonne nouvelle pour les revenus de Postes Canada certes, mais un défi logistique de taille.

Emmanuel Manioudakis, directeur de l'endroit, ne veut pas revivre un temps des Fêtes comme celui de l'an dernier. «En 2012, la machine ne fournissait plus. Il fallait traiter les colis à la mitaine. On a embauché des gens pour prendre les colis dans les camions et aller les porter dans le bon monoteneur, en fonction du code postal», raconte-t-il tout en marchant entre de grosses cages pleines de boîtes qui attendent d'être livrées.

Pour régler le problème, Postes Canada a acheté un robot.

Il entrera en fonction le 4 décembre, à temps pour le mois des cadeaux. Il ressemble aux robots utilisés par les aéroports pour gérer les bagages.

L'équipement a été acquis en Allemagne et aux États-Unis. Son prix est confidentiel. Mais il fait partie d'un plan triennal et national de mise à niveau de 2,1 milliards.

Il est capable de lire - à toute vitesse - les six faces d'un colis. Il appose ensuite un code à barres sur la boîte. Il est capable de traiter 16 000 colis à l'heure (les employés sont capables d'en traiter 9000 à l'heure).

Il est logé dans une nouvelle partie du centre de tri, agrandi de 80 000 pi2 pour lui.

Il mettra fin aux réponses imprécises du genre «en traitement», quand un client se demandera où est rendu son achat. Car chaque mouvement de colis dans la chaîne sera enregistré et accessible par l'internet.

Le code apposé par le robot pourra même permettre aux colis d'être repérés pendant qu'ils se trouvent dans un camion grâce à un GPS.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND LA PRESSE

Les défis de Postes Canada

- Une caisse de retraite affichant un déficit de 6 milliards de dollars

- Des pertes de près de 1 milliard d'ici 2020, selon le Conference Board

- Le risque de manquer de liquidités le printemps prochain

- Baisse de volume du courrier d'environ 27% d'ici 2020

Les 5 suggestions du Conference Board pour sauver Postes Canada :

- Restrictions salariales

- Livraisons un jour sur deux (lettres seulement)

- Élimination de la livraison à domicile, au profit de la livraison aux boîtes postales (l'option qui générerait le plus d'économies, soit 576 millions par année)

- Remplacement des bureaux de poste par des concessions

- Réduction de la vitesse de livraison

Le centre de tri Léo-Blanchette, en chiffres :

- Près de 1 million de pieds carrés

- 50 000 à 60 000 colis/jour

- 100 000 à 120 000 paquets/jour

Environ 40% des colis livrés au Canada proviennent de l'étranger. De quels pays?

États-Unis

Chine (en forte croissance)

France

Japon

Grande-Bretagne