Si les informations au sujet de l'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne se confirment aujourd'hui, cette entente risque de créer un «dangereux précédent», susceptible d'influer sur les négociations de libre-échange avec les États-Unis, craint l'Association européenne des agriculteurs.

L'organisme regroupe les associations de producteurs agricoles des 27 pays de l'Union européenne. On y trouve autant des producteurs laitiers, qui bénéficieront d'un meilleur accès au marché canadien, que des producteurs de viande bovine, qui feront face à une nouvelle concurrence.

Les premiers accueillent positivement l'accord de libre-échange, qui doit être entériné aujourd'hui à Bruxelles par le premier ministre Stephen Harper et le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Tandis que les seconds appréhendent le pire.

Du point de vue européen, le traité fera donc des gagnants et des perdants. Mais aux yeux de l'Association européenne des agriculteurs, globalement, les pertes seront plus importantes que les gains.

«Nous avons l'impression que l'accord est déséquilibré en faveur du Canada et que les concessions accordées aux producteurs canadiens de viande bovine et porcine sont plus importantes que les nouvelles opportunités offertes aux producteurs de fromages européens», déplore Arnaud Petit, directeur des produits et marchés pour cette association.

Le Canada importe actuellement un peu plus de 13 000 tonnes de fromages européens par an. Sous le nouveau régime, les importations atteindraient 30 000 tonnes de fromages exonérés de taxes. Selon Arnaud Petit, tout compte fait, «ce n'est pas une si grande augmentation que ça». Il déplore aussi le régime de quotas laitiers qui, selon lui, avantage indûment le Canada.

«Le volume dont on parle aujourd'hui équivaut à environ 0,3% de la production européenne de fromage. L'ouverture n'augmentera donc pas les exportations européennes vers les pays tiers de façon substantielle», confirme l'Association européenne des transformateurs laitiers.

Panique chez les producteurs bovins

Ceux qui bénéficieront de ces nouveaux débouchés accueillent donc la nouvelle avec une certaine réserve. En revanche, chez les producteurs de boeuf européens, c'est la panique. Particulièrement en France.

C'est que le marché du boeuf français est en déclin. Les ventes baissent de 2 ou 3% chaque année, selon la Fédération nationale bovine.

Pendant ce temps, les coûts de production augmentent. Les producteurs de boeuf se trouvent déjà au bas de l'échelle des revenus agricoles en France, avec des gains moyens de 15 000 euros (22 000$) par année. Pour eux, l'arrivée massive de nouvelles exportations bovines est une véritable menace.

On ignore quelle quantité de boeuf canadien atterrira dans les assiettes européennes en vertu de l'ambitieuse entente de libre-échange, mais à la Fédération nationale bovine, on cite le chiffre de 50 000 tonnes.

Ce serait assez pour «déstabiliser le marché de la viande en France et pour causer une chute des prix», craint Pierre Chevalier, président de la Fédération.

«Dans un marché européen tendu, pour nous, c'est une véritable préoccupation», s'inquiète-t-il. D'autant plus que les exigences européennes en matière de conditions sanitaires et de normes environnementales créent une «distorsion de la concurrence», selon lui. Concrètement, on craint des fermetures d'abattoirs et des pertes d'emplois dans un pays déjà frappé par le chômage.

Le marché européen serait peut-être en mesure de digérer le boeuf canadien, mais les producteurs appréhendent que l'accord ne serve d'étalon à un autre traité, celui que l'Union européenne négocie avec les États-Unis.

«Pour nous, le grand risque, c'est que les négociateurs américains prennent les chiffres qui seront annoncés demain [aujourd'hui] comme point de départ pour leurs propres demandes», dit Arnaud Petit. Le cas échéant, les exportations bovines vers les pays de l'Union européenne risqueraient de causer une indigestion.

Quelques chiffres

> 22 000$: revenus moyens d'un producteur de boeuf français

> Les ventes de viande de boeuf en France ont baissé de 3% en 2012 et de 2% durant les huit premiers mois de 2013.

> 0,3%: augmentation des exportations totales de fromages européens, en vertu du traité de libre-échange avec le Canada