Après plus de quatre ans de négociations souvent ardues, le Canada et l'Union européenne sont enfin parvenus à conclure un ambitieux traité de libre-échange. Le premier ministre Stephen Harper se rendra vendredi à Bruxelles pour signer l'entente de principe qui suscite déjà une vive inquiétude chez les producteurs de lait du Québec.

L'accord, qui doit être ratifié par les pays membres de l'Union européenne et le gouvernement canadien avant d'entrer en vigueur - une démarche qui pourrait prendre jusqu'à deux ans -, devient le plus important jamais conclu par le Canada et pourrait être vu comme l'héritage politique de Stephen Harper.

Le gouvernement conservateur a profité du discours du Trône pour annoncer la signature prochaine de l'accord. «Notre gouvernement mènera bientôt à terme des négociations relatives à un accord économique et commercial global avec l'Union européenne. Cet accord pourrait créer 80 000 nouveaux emplois canadiens», peut-on lire dans le discours.

Concession

Bien que les détails de l'entente n'aient pas encore été divulgués, on connaît déjà l'une des plus importantes concessions faites par le gouvernement Harper. La quantité de fromage européen importée au Canada doublera. Une mesure qui fait craindre le pire aux producteurs de lait québécois.

Ainsi, les quotas accordés aux producteurs européens augmenteront de l'équivalent d'environ 4% de la consommation de fromage actuelle au pays. Selon Ottawa, on croit que le marché canadien sera capable d'absorber cette hausse puisque la consommation de fromage au Canada est en pleine expansion. Entre 2006 et 2010, la croissance moyenne a été de 8000 tonnes par an.

«Le résultat net est que les importations de fromage n'auront augmenté que de 8% quand l'accord de libre-échange aura été pleinement mis en oeuvre», a indiqué une source gouvernementale.

Mais ces calculs sont loin de convaincre la Fédération des producteurs de lait du Québec, qui qualifie d'«inacceptable» l'augmentation des quotas d'importation de fromage européen. Le porte-parole de l'organisme, François Dumontier, affirme que les producteurs québécois seront le plus touchés par la mesure.

«Le Québec fabrique 50% des fromages canadiens et 60% des fromages fins, dit-il. La production laitière et fromagère est concentrée au Québec. Donc, ça touche particulièrement l'économie québécoise.»

Il juge par ailleurs «illusoire» de penser que l'accès élargi au marché européen permettra d'augmenter les exportations de fromage québécois. Les producteurs du Vieux Continent profitent en effet d'importantes subventions, tandis que leurs concurrents québécois, protégés par le système de gestion de l'offre, n'ont pas accès à un soutien financier comparable.

Le chef du Nouveau Parti démocratique, Thomas Mulcair, a d'ailleurs fait écho à ces préoccupations.

«Ça voudrait dire qu'il y aurait énormément de producteurs de fromages fins qui perdraient leur entreprise, un point, c'est tout, a-t-il déclaré. Les fromages qu'on serait en train de laisser rentrer avec un quota extrêmement élevé, comme ce qui est proposé, ça va saccager le système de gestion de l'offre pour les producteurs laitiers, et notamment les producteurs de produits de fromages fins.»

Au bureau du ministre du Commerce international, Ed Fast, on rétorque que l'entente de principe permet justement de protéger le système de gestion de l'offre.

«Notre gouvernement a été très clair. Chacun des trois piliers essentiels de notre système national de gestion de l'offre doit demeurer intact: le contrôle de la production, les contrôles à l'importation et le contrôle des prix», a indiqué le porte-parole de M. Fast, Rudy Husny.

«Notre gouvernement a toujours défendu les intérêts de notre secteur de la gestion de l'offre durant les négociations commerciales. Cette approche n'a pas changé dans le cadre des pourparlers avec l'Union européenne», a-t-il ajouté.

Au cabinet du ministre des Finances du Québec, Nicolas Marceau, on a préféré attendre la conclusion de l'accord avant de le commenter. La porte-parole du ministre, Mélanie Malenfant, a rappelé que le gouvernement Marois appuie le libre-échange avec l'Union européenne, à condition qu'un éventuel accord soit bénéfique pour le Québec.

Le Conseil du patronat du Québec a pour sa part accueilli la nouvelle favorablement. «Dans une entente gagnant-gagnant, cela ne veut pas dire que le gain est pareil partout. Il y a des menaces et des opportunités. Le verre est à moitié vide ou à moitié plein. Nous préférerons regarder cela comme le verre qui est à moitié plein. Ce n'est pas parfait, mais il y a des occasions extraordinaires», a dit le président Yves-Thomas Dorval.

La Chambre de commerce du Canada a également exprimé son enthousiasme. «Pour nous, l'élément le plus important est que cette entente ouvre de nouveaux marchés aux entreprises canadiennes. Notre économie dépend du commerce extérieur et c'est pourquoi il faut se réjouir aujourd'hui. L'Union européenne représente de nombreuses opportunités pour nos entreprises, autant les PME que les grandes entreprises»ae¢, a indiqué Émilie Potvin, directrice des affaires publiques de la CCC.

Boeuf et porc

L'accès au marché canadien pour les producteurs de fromages n'était pas le seul obstacle à la conclusion d'un accord. Les deux parties ont mis des mois à s'entendre sur l'accès au marché européen pour les producteurs canadiens de boeuf et de porc. Les pourparlers achoppaient aussi au sujet des services financiers, des brevets sur les médicaments et des appels d'offres des gouvernements provinciaux. Mais la décision de Stephen Harper de prendre ce dossier en main en septembre a permis de débloquer l'impasse.

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Quelques chiffres

60% Proportion des fromages fins canadiens produits au Québec

20 400 TONNES Quantité de fromage importée au Canada chaque année 13 471 TONNES Quantité de fromage importée d'Europe (environ 3% du marché)

17 700 TONNES Quantité qui sera ajoutée à ce quota en vertu de l'accord de principe

4 ANS Durée des négociations entre le Canada et l'Union européenne

2 ANS Délai avant la ratification et l'entrée en vigueur de l'accord