Depuis longtemps, la vente de barres de chocolat est l'un des moyens préférés des organismes de charité pour recueillir des fonds. Or, un important fournisseur de chocolat s'est servi de cette activité pour frauder les banques et mettre des organismes de bienfaisance dans l'embarras. En cette période où les collectes de fonds sont fort populaires, La Presse fait le point sur cette organisation.

Des enfants et des handicapés ont permis à une organisation de vente de barres de chocolat de perpétrer une vaste fraude digne de la télésérie Les Bougon.

Faux états financiers, faux comptables, fausses faillites: les manoeuvres de Michael Baker, de ses fils Glenn et Stephen, ainsi que de leur financier, Claude Bossé, sont telles qu'un juge les a qualifiées de«véritable cours de fraude 101».

Il a fallu plusieurs années au syndic de faillite Raymond Chabot et des débats épiques devant les tribunaux pour venir à bout de cette affaire. Les faits se sont essentiellement produits de 2002 à 2005, mais ce n'est que le 17 octobre dernier que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a finalement déposé des accusations de fraude contre les quatre individus.

Les Baker font affaire dans cette industrie depuis près de 20 ans. Les méfaits qui leur sont reprochés ont été commis par le truchement des entreprises Chocolat 3 Étoiles, Chocolats Cinq Étoiles et Chocolat suprême. Par la suite, deux des Baker ont travaillé pour une nouvelle entreprise, Chocolat Unik, encore active aujourd'hui.

Au début, les Baker vendaient leurs barres de chocolat partout au Canada, à des «lieutenants» qui, de leur côté, faisaient vendre la marchandise à 2 $ l'unité par des enfants ou l'écoulaient par d'autres moyens, selon un document produit en cour.

Puis, ils ont changé leur méthode et installé des boîtes de barres de chocolat aux comptoirs de nettoyeurs ou de centres d'entretien d'automobiles, à la réception d'immeubles de bureaux, etc. À un certain moment, jusqu'à 55 000 boîtes de chocolats, dont la vente devait servir à recueillir des fonds pour des oeuvres de charité, ont parsemé les commerces du Canada, selon le témoignage en Cour supérieure de Réjean Bouchard, du syndic Raymond Chabot.

L'essentiel des transactions se faisait en espèces, ce qui a permis aux Baker de mettre beaucoup de profits à l'abri de l'impôt, selon nos renseignements.

En 2003, Chocolats Cinq Étoiles frappe un grand coup. Les Baker veulent prétendument fabriquer eux-mêmes les barres de chocolat plutôt que recourir à un fournisseur. Ils cognent à la porte de la Banque de développement du Canada (BDC), une institution fédérale, pour financer l'achat des équipements nécessaires.

L'enjeu est de taille: la transaction avoisine les 2,5 millions. Michael Baker promet d'avancer 700 000 $ et demande à la BDC un prêt de 1,45 million. Confiante, la BDC décaisse l'argent à la fin de 2003.

Erreur! Après quelques mois, la BDC découvre qu'elle s'est fait berner. D'abord, les états financiers qui attestent la solidité de Chocolats Cinq Étoiles sont faux. La vérification avait soi-disant été faite et signée en novembre 2003 par la firme comptable Bourque Haché Duguay, de Caraquet, au Nouveau-Brunswick. Or, cette firme n'existe pas.

Avant de décaisser les fonds, la BDC avait exigé une lettre attestant que Michael Baker avait fait son apport de capital de 700 000 $. La lettre a bel et bien été remise, mais elle est signée par un comptable, Damien Haché, qui n'a jamais existé.

Transactions fictives

Ce n'est pas tout. Pour donner aux équipements soi-disant neufs une valeur de 2,5 millions, les Baker ont structuré des transactions fictives qui en ont gonflé la valeur. En réalité, les équipements d'occasion avaient une valeur de 147 124 $, selon des documents produits en cour. Les transactions avaient été montées par un certain Claude Bossé, que la GRC et la Sûreté du Québec (SQ) considèrent comme un«chef d'orchestre» pour ce genre d'affaire.

Bref, c'est la catastrophe. La BDC n'est toutefois pas seule à s'être frottée aux Baker. La Banque de Montréal et la Banque Nationale ont également eu affaire à eux.

Dans le premier cas, c'est par l'entremise de Chocolat 3 Étoiles que la BMO a été bernée, un an avant la BDC. Encore une fois, les Baker ont emprunté des fonds, soit 450 000 $, prétendument pour acheter de l'équipement, en 2002. Mais l'argent a plutôt été versé aux conjointes des Baker et à d'autres personnes proches de l'organisation, a découvert le syndic après une enquête menée en 2005.

Quant à la Banque Nationale, Michael et Glenn Baker ont réussi à lui soutirer une marge de crédit de 250 000 $ au bénéfice de Cinq Étoiles, en 2005. Or, les fonds ont été utilisés par une autre entreprise du groupe, Chocolat Suprême, ou pour l'achat de biens personnels, comme des bijoux, des fourrures ou des pneus, selon le syndic.

Des cartes de crédit d'autres banques ont également servi à des fins personnelles, notamment pour l'achat d'une voiture, de deux motomarines ou même d'un spa pour le chalet.

En somme, les manoeuvres audacieuses de la famille Baker font rager les banques. De juin 2005 à janvier 2006, 3 Étoiles, Cinq Étoiles, Suprême et les trois Baker ont tour à tour fait faillite, déclarant des passifs énormes et des actifs ridicules.

Dans les mois et les années précédant les faillites, Michael et Glenn Baker ont cédé à leur femme respective l'essentiel des biens immobiliers de la famille.

À partir de 2005, le syndic Raymond Chabot a fait enquête et passé à travers plusieurs recours judiciaires. Devant les nombreuses preuves, le juge André Côté a donné raison au syndic et accordé toutes les saisies réclamées, en septembre 2010, notamment les maisons des conjointes de Michael et de Glenn Baker.

Au printemps 2011, les Baker ont accepté de régler l'affaire à l'amiable et versé 900 000 $ au bénéfice des créanciers, essentiellement les banques. En octobre 2012, la GRC a porté des accusations criminelles contre les Baker.