Après des mois de silence radio, le gouvernement fédéral vient d'annoncer des consultations sur l'utilisation d'un montant de 400 millions en capital-risque annoncé lors du dernier budget. Une occasion unique de relancer un secteur en difficulté qui ne doit pas être gaspillée, supplient les acteurs de l'industrie.

Faites vite, M. Flaherty. Mais surtout, ne ratez pas votre coup. S'il y a un message que l'industrie du capital-risque envoie au ministre des Finances du Canada ces jours-ci, c'est bien celui-là.

Ceux dont le métier est de miser de l'argent sur les entreprises risquées dans l'espoir de les voir exploser ont accueilli le dernier budget fédéral comme des assoiffés voyant venir la pluie. Le ministre Jim Flaherty a débloqué 400 millions pour tenter de relancer cette industrie qui peine actuellement à renflouer ses coffres.

Depuis, le silence du fédéral a alimenté bien des rumeurs. Qui gérera cet argent? Comment sera-t-il déployé? Les acteurs de l'industrie ont jonglé avec ces questions jusqu'à ce que le ministre annonce finalement, le 22 juin dernier, des consultations sur le sujet.

Des opinions tranchées, le fédéral risque d'en recevoir son lot lors de cet exercice, qui se terminera le 27 juillet prochain. Mais un tour d'horizon permet de constater que les avis sont étonnamment concordants.

Message numéro un de l'industrie au fédéral: ça presse.

«Il faut éviter à tout prix de prendre deux ans à se demander ce qu'on va faire, qui va le faire, et, éventuellement, finir par le faire. On ne peut pas attendre. Les fonds sont vides actuellement et il faut les combler. Il y a enfin eu de l'argent annoncé dans le dernier budget et on salue l'initiative, mais ça a pris plusieurs années. On ne peut pas attendre encore», dit Geneviève Morin, coprésidente de Réseau capital, l'association québécoise du capital-risque.

L'urgence vient du fait qu'au Canada, les fonds de capital-risque se vident plus rapidement qu'ils ne se remplissent. Les investissements dans les entreprises les plus prometteuses du pays ont grimpé de 34% l'an dernier pour atteindre 1,5 milliard. Mais les levées de fonds, elles, ont stagné à 1 milliard. En clair, ça signifie que ceux qui sélectionnent les jeunes entreprises sur lesquelles miser dans l'espoir d'accoucher de succès à la Facebook seront bientôt à court de munitions pour soutenir nos meilleurs entrepreneurs.

Pas de nouvelle entité

C'est entre autres à cause de l'urgence de la situation que les acteurs de l'industrie supplient le gouvernement de ne pas créer de toutes pièces une nouvelle entité pour gérer les 400 millions annoncés dans le budget.

«Il ne serait ni sage, ni raisonnable de créer une nouvelle structure. Il faut mettre cet argent dans les mains de gestionnaires compétents qui connaissent le marché canadien et y sont déjà actifs», dit Gilles Duruflé, un consultant indépendant gourou du capital-risque.

Reste à voir dans quelles mains, justement, mettre l'argent. Jacques Bernier dirige Teralys, un fonds de fonds québécois qui représente le plus gros réservoir de capital-risque du pays. M. Bernier ne se ferait pas prier pour gérer lui-même les nouveaux fonds, mais croit que ce rôle revient naturellement à la Banque de développement du Canada (BDC), un acteur important de l'industrie qui a l'avantage politique de ne pas être associé à une province en particulier.

Plusieurs acteurs de l'industrie se demandent d'ailleurs pourquoi les fonds du fédéral n'ont pas été confiés d'emblée à la BDC, ce qui aurait accéléré le processus. La BDC n'a pas voulu commenter le sujet.

L'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta ont aussi mis sur pied des fonds de fonds similaires à Teralys au Québec. Leur rôle: sélectionner les meilleurs fonds de capital-risque et les renflouer. Selon Geneviève Morin, de Réseau capital, chacun d'entre eux connaît assez le marché canadien pour gérer les 400 millions et les déployer d'un océan à l'autre. Reste à voir si le fédéral voudra prendre le risque politique de confier une somme aussi importante à un groupe provincial.

»Un seul gestionnaire»

Dans tous les cas, Jacques Bernier implore de ne pas séparer le montant et l'éparpiller aux quatre vents. Pour être efficace, plaide-t-il, un fonds de capital-risque doit avoir une taille minimale de 100 millions. Et comme chaque fonds ne peut investir plus de 10% de ses actifs dans une même entreprise, séparer le montant de base pourrait conduire à soutenir trop de fonds, qui n'auraient pas les moyens de faire des investissements assez importants pour avoir de l'impact.

«Il faut que le montant total soit confié à un seul gestionnaire qualifié», martèle M. Bernier.

Le saupoudrage est aussi la hantise de Geneviève Morin, de Réseau capital, qui croit que l'argent du fédéral devrait servir à des investissements importants susceptibles de provoquer un effet boule de neige et d'en attirer d'autres.

«L'objectif de cette contribution fédérale est d'attirer d'autres acteurs qui ne sont pas actuellement des pourvoyeurs de fonds de capital-risque. On pense aux caisses de retraite, fonds de pension et autres investisseurs institutionnels», dit d'ailleurs Richard Rémillard, directeur de l'Association canadienne du capital de risque et d'investissement.

M. Rémillard a en tête le programme Yozma, mis en place par le gouvernement israélien dans les années 90, qui avait permis de créer de toutes pièces une industrie du capital-risque avec seulement 100 millions US d'argent public.

Grâce à des incitatifs savamment construits, le montant de 100 millions avait permis d'attirer une somme équivalente d'investisseurs privés. Une quinzaine d'années plus tard, l'affaire avait atteint une somme de 3 milliards, et le gouvernement avait récupéré davantage que ce qu'il avait mis pour lancer le bal.

Yozma avait notamment permis d'attirer beaucoup d'argent de l'étranger, un contraste avec le Canada qui n'a pas attiré un seul cent d'argent étranger dans ses fonds l'an dernier.

«Il faut adapter les choses à la réalité canadienne, dit M. Rémillard. Mais je crois qu'on peut tirer des leçons de cet exemple.»