Depuis le début de l'été, trois vents mauvais soufflent sur l'économie canadienne, mais ne devraient pas l'empêcher d'arriver à bon port: l'assombrissement des perspectives économiques mondiales, l'intensification de la crise de la dette souveraine européenne et les doutes grandissants sur la capacité de réaction des décideurs publics.

Des trois, c'est la dette publique européenne qui taraude le plus le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney. «La préoccupation la plus immédiate réside dans les difficultés de financement des banques européennes, s'est-il inquiété hier dans une allocution devant la chambre de commerce de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. À moins d'être rapidement inversée, la situation pourrait créer des interactions défavorables entre les banques, l'attribution de crédit et l'économie réelle.»

Le gouverneur exhorte les élus européens à non seulement réduire les déficits budgétaires, mais aussi à restaurer la compétitivité des États les moins productifs. Cela passe par des ajustements déflationnistes, a-t-il signifié, un euphémisme pour parler notamment de réduction des salaires. Il a donné l'exemple de la Grèce dont les coûts unitaires de main-d'oeuvre ont augmenté du tiers par rapport à ceux de l'Allemagne depuis la fondation de la zone euro, le 31 décembre 1998.

M. Carney est allé plus loin encore en réclamant «un plan détaillé en matière de fonds propres pour les banques européennes» et, a-t-il souligné, «un important filet de sécurité en matière de financement pour les pays souverains d'Europe».

Ce n'est que lorsque des résultats concrets auront été obtenus que la confiance des investisseurs sera rétablie, comme en fait foi l'expérience canadienne des années 90.

«Les autorités européennes doivent prendre le temps de refonder leur union monétaire sur des mécanismes budgétaires crédibles et des économies plus flexibles, capables de s'ajuster rapidement aux variations inévitables de la compétitivité interne en Europe», a-t-il insisté.

M. Carney a aussi eu des mots durs pour la classe politique américaine, parlant même du «fiasco du relèvement du plafond de la dette».

Tout en écartant encore la possibilité d'une rechute en récession de notre grand voisin, il en a dressé un bilan de santé peu reluisant: bourbier du marché du logement, endettement élevé des ménages et mesures budgétaires susceptibles de brider la croissance.

«La Banque s'attend à ce que l'économie américaine continue de progresser à un taux égal ou inférieur à son taux tendanciel d'environ 2% jusqu'au deuxième trimestre de 2012», a-t-il rappelé.

Ces chiffres ressemblent aux prévisions révisées du Fonds monétaire international rendues publiques hier. (Le FMI voit par ailleurs une expansion de 2,1% et 1,9% pour le Canada, cette année et l'an prochain.)

La faiblesse de la reprise américaine a, plus que la crise de la dette européenne, des répercussions sur l'économie canadienne. Si les États-Unis faisaient preuve du même dynamisme que lors des débuts de cycle précédents, la taille de leur économie serait plus grande de 2,5% et les exportateurs canadiens auraient réalisé des ventes supplémentaires de 30 milliards, calcule la Banque.

Voilà un des éléments qui expliquent que les exportations nettes canadiennes freineront la croissance dans l'avenir immédiat. Selon le FMI, le solde de nos exportations et de nos importations retranchera 1,3 et 0,4 point de pourcentage à la croissance en 2011 et 2012.

L'autre, c'est la faible productivité relative des entreprises canadiennes qui entraîne une augmentation rapide des importations. Par bonheur, a relevé le gouverneur, une part grandissante de ces achats à l'étranger prend la forme d'investissements plutôt que de consommation simple.

M. Carney a plaidé pour que le Canada se lance à la conquête des économies émergentes, où les occasions lui paraissent meilleures qu'aux États-Unis, à court et à moyen terme. Cela lui paraît d'autant plus important que le vieillissement de la population va ralentir le potentiel de croissance de l'économie.

«Si nous ne perçons pas de nouveaux marchés et n'améliorons pas notre productivité, la perte cumulative de revenu découlant du ralentissement de la croissance de la production potentielle pourrait se chiffrer à près de 30 000$ par Canadien au cours de la prochaine décennie», a-t-il prévenu.