Les actionnaires ordinaires du fabricant de jouets montréalais Mega Brands ont perdu pratiquement toutes leurs billes depuis 2006. Mais après une restructuration, la rémunération des deux principaux dirigeants a gonflé de 60%, dépassant un million de dollars chacun en 2010.

À l'assemblée annuelle, jeudi, les dirigeants ont reçu des applaudissements et une bonification de leur rémunération future, incluant un parachute doré de 11 millions, alors qu'ils avaient été accusés, la veille, d'un délit d'initié qui pourrait leur valoir une pénalité record de 6,5 millions.

Rien ne semble pouvoir freiner l'ascension du salaire des dirigeants qui a grimpé de 22% en 2010 dans les 50 plus grandes sociétés québécoises, dévoilait cette semaine le journal Les Affaires.

Même la crise du crédit n'a pas mis fin aux excès. En 2009, au plus fort de la récession, les 100 patrons canadiens les mieux payés ont gagné 6,6 millions de dollars, selon le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Le contraste est frappant par rapport au Canadien moyen qui a gagné 42 990$.

Il aurait donc suffit à ces patrons de travailler jusqu'au 3 janvier, à 14h30 précisément, pour empocher le salaire annuel du travailleur moyen!

Pourtant, la rémunération stratosphérique des dirigeants d'entreprises est un phénomène assez récent. En 1995, les 50 patrons canadiens les mieux payés gagnaient 85 fois les revenus du travailleur moyen. En 2009, leur rémunération avait explosé à 212 fois le revenu moyen, selon le CCPA.

«Jadis, l'éthique précédait les lois. Spontanément, les gens se disaient : ce n'est pas vrai que je vaux 200 fois ce que valent mes employés. C'était instinctivement inadmissible. Aujourd'hui, on se dit : c'est légal, donc je le fais», expose Claude Béland, président du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires (Médac) et ancien président du Mouvement Desjardins.

Le Médac a souvent fait des propositions pour ramener sur terre les salaires des dirigeants. Mais elles sont rejetées par les gros actionnaires, même par les caisses de retraite qui gèrent les avoirs de travailleurs de la classe moyenne.

«Elles sont prises dans l'engrenage. Il faut que les gens se réveillent. Le libre marché, c'est une blague. Aujourd'hui, le marché est contrôlé par les grandes banques, les grands gestionnaires de fonds, c'est clair. Ici, en Amérique, nous sommes sous la dictature du capital. Un jour, ça risque d'éclater», dit M. Béland.

Pire que les années 20

Désormais, les revenus de l'élite sont encore plus faramineux que durant les années folles, avant le krach de 1929, indique le CCPA.

Au Canada, le 1% de mieux nantis (les 246 000 privilégiés qui gagnaient plus de 169 000$ en 2007) ont touché 14% des revenus totaux du pays. C'est deux fois plus que dans les années 70.

Quant à la crème de l'élite, (les 2500 personnes gagnant plus de 1,8 million formant 0,01% de la population), elle a obtenu 2,5% de l'ensemble des revenus réalisés au pays. Du jamais vu. Il s'agit d'une proportion cinq fois plus élevée que durant les Trente Glorieuses (1945-1973), la période d'Après-guerre où la classe moyenne était à son apogée.

Les choses ont basculé lorsque les Américains ont largué les accords de Bretton Woods dans les années 70, considère M. Béland. «Par la suite, les taux de change flottants ont créé une spéculation sur la monnaie et des crises financières à tous les six ou sept ans», dit-il.

Et depuis, la classe moyenne perd du terrain. Plus de la moitié (52%) des familles canadiennes en faisaient partie en 1989. Quinze ans plus tard, cette proportion avait fondu à 47%, selon Statistique Canada.