Le monde des affaires du Québec a au moins deux bonnes raisons de se réjouir du résultat des élections de lundi. L'impôt des entreprises diminuera et le déficit disparaîtra. Mais il a encore plus de raisons de s'inquiéter de la mainmise du NPD.

«Le gouvernement conservateur a la réputation de faire ce qu'il dit qu'il va faire», a dit hier le président du Conseil du patronat, Yves-Thomas Dorval.

Ce qui est certainement une bonne chose à certains égards, selon lui. Les entreprises jouiront à partir du 1er janvier prochain du taux d'imposition le plus bas de tous les pays du G7. Les dépenses publiques seront gérées de façon serrée, et le déficit sera éliminé, probablement plus rapidement que prévu.

D'un autre côté, il faut s'attendre à ce que les conservateurs concrétisent des projets auxquels le Québec s'oppose farouchement. La commission unique des valeurs mobilières, si chère aux conservateurs, pourrait donc finir par voir le jour, malgré l'opposition de provinces qui comptent pour plus de 50% de la population canadienne.

«Ça fait partie des dossiers qui risquent d'être problématiques», dit le porte-parole des Manufacturiers et exportateurs du Québec, Simon Prévost.

L'opposition à la commission pancanadienne des valeurs mobilières n'était toutefois pas menée par l'opposition, souligne-t-il, mais par les gouvernements provinciaux. «Il faudra qu'ils continuent de s'y opposer.»

L'élection d'un gouvernement majoritaire, le premier en sept ans, est considérée comme un avantage certain par les gens d'affaires. «Il y a un certain soulagement à avoir un gouvernement majoritaire, assure Michel Leblanc, président de la chambre de commerce du Montréal métropolitain. Des élections fédérales aux quatre ans, c'est bien assez.»

Montréal a beaucoup de raisons de s'inquiéter des résultats des élections (voir autre texte), mais Michel Leblanc est content de l'élection d'un gouvernement «pro-affaires et responsable financièrement».

M. Leblanc rappelle que le budget déposé en mars par le gouvernement Harper, et qui sera soumis de nouveau et adopté cette fois-ci à cause de sa majorité aux Communes, avait été très bien accueilli par la communauté d'affaires.

Diabolisation

Ce qui inquiète les patrons, c'est la majorité que le Québec a donnée au NPD, parti pro-syndicat et anti-grande entreprise.

Il ne faudrait pas qu'ils continuent à diaboliser la grande entreprise, souhaite Yves-Thomas Dorval. «Déjà qu'on n'en a pas trop au Québec, on les compte sur les doigts de la main.»

Le président du CPQ s'inquiète aussi des relations qu'aura le gouvernement de Jean Charest avec l'opposition officielle à Ottawa dont le lieutenant au Québec est Thomas Mulcair, qui a quitté les libéraux avec fracas sur la question de la privatisation du mont Orford.

Le discours du NPD qui veut faire payer les riches est dans un terreau fertile au Québec, reconnaît Simon Prévost. «Ça pourrait avoir un impact sur le climat d'affaires au Québec, qui est déjà difficile», estime-t-il.

Selon lui, le risque de détérioration du climat d'affaires est plus grand si le gouvernement en poste à Québec se rapproche des idées du NPD pour séduire son propre électorat. «Si le résultat du vote est interprété comme un virage à gauche du Québec, il y a danger pour le climat d'affaires», croit Simon Prévost.

Françoise Bertrand, qui est à la tête de la Fédération des chambres de commerce du Québec, croit que le vote doit être interprété surtout comme un vote de protestation plutôt qu'un virage à gauche du Québec.

«Ce n'est pas le NPD, de toute façon, qui est majoritaire, mais les conservateurs, avec lesquels le monde des affaires est plus compatible.»

Des pétrolières soulagées

S'il y a des entreprises soulagées de l'élection d'un gouvernement conservateur majoritaire, ce sont surtout les pétrolières. Elles l'ont échappé belle, puisque tous les autres partis proposaient toute une gamme de mesures pour réduire les émissions polluantes.

Vu du Québec, toutefois, le dossier de l'énergie ne devrait pas progresser beaucoup au cours des prochaines années, que ce soit la Bourse du carbone ou les encouragements aux énergies vertes.

En fait, la principale initiative pro-énergie renouvelable du gouvernement Harper pendant la campagne a été d'aider Terre-Neuve à réaliser son projet hydroélectrique du Bas-Churchill, ce qui a suscité une levée de boucliers au Québec.

Le président de l'Association québécoise des producteurs d'énergie renouvelable, Jean-François Samray, rappelle que le dernier budget conservateur a aboli le programme écoÉNERGIE.

Majoritaire, le gouvernement va pouvoir faire ce qu'il veut en matière d'énergie, reconnaît-il. Il ne faut donc pas avoir de grandes attentes, mais il ne pourra pas se contenter de s'aligner sur ce que font les Américains en matière de réduction des émissions.

«S'il veut perdurer, il va devoir tenir compte des aspirations des différentes régions du pays», dit M. Samray.

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LE BUDGET CONSERVATEUR EN BREF

Déficit budgétaire

Le gouvernement conservateur, dans son dernier budget, présenté le 22 mars dernier prévoyait faire passer le déficit de 29,6 milliards en 2011-2012 à un surplus budgétaire de 4,2 milliards en 2015-2016.

Coup de pouce aux aînés

Hausse du supplément de revenu garanti: "600$ par personne seule par année, "840$ pour un couple. Pour les aînés dont les revenus autres que ceux de la Sécurité de vieillesse et du supplément de revenu garanti sont inférieurs. Total de la mesure: 530 millions.

Aidants naturels

Crédit d'impôt de 2000$: pour la première fois, le crédit d'impôt pour les aidants naturels sera admissible aux personnes subvenant aux besoins d'un conjoint ou d'un enfant mineur qui a une déficience.

Environnement

Prolongation du programme de rénovation écoÉNERGIE pour une somme de 400 millions.

Pont Champlain

Ottawa entend verser 228 millions en 3 ans à la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain «pour financer des travaux de réparation et d'entretien de grande envergure», mais il n'est pas question d'un nouveau pont.

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Ce qu'en disent les experts

Les conséquences sur la politique fiscale et la politique monétaire devraient être modestes à court terme puisque le gouvernement devrait adopter le budget qu'il avait déposé avant les élections. Les restrictions budgétaires au cours des prochaines années agiront comme un substitut partiel à une hausse de taux agressive. L'impact sur le dollar canadien ne sera donc pas aussi positif qu'on pourrait le croire en surface.

- Avery Shenfeld, économiste à la Banque CIBC

Les conservateurs se retrouvent au pouvoir haut la main avec un gouvernement majoritaire, ce qui est très positif pour les marchés financiers (le dollar canadien a initialement bondi à la suite de la nouvelle). Ça ouvre la porte à une réintroduction du budget de mars et il devrait être largement le même.

- Jennifer Lee, économiste de chez BMO

C'est la première fois que les conservateurs gagnent trois élections de suite et c'est un exploit qui permet au pays de rester sur le chemin qui favorise la croissance, les affaires et les marchés. (...) Le meilleur ami de l'investisseur est la certitude et les marchés favorisent les gouvernements qui embrassent la création de valeur et des taux d'imposition plus faibles. C'est exactement ce que les Canadiens ont livré lundi soir.

- David Rosenberg, économiste chez Gluskin Sheff

Propos recueillis par Richard Dufour