Trois des quatre principaux partis politiques fédéraux - les libéraux, les néo-démocrates et les bloquistes - proposent de réduire leurs avantages fiscaux, mais les riches pétrolières de l'Ouest canadien ne veulent pas s'immiscer dans la campagne électorale.

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«Les pétrolières ont un taux d'imposition plus bas au Canada qu'au Texas», dit le député bloquiste Pierre Paquette, qui veut ainsi récupérer 3 milliards de dollars par année.

Le NPD chiffre plutôt l'aide fédérale aux pétrolières à 2 milliards de dollars par année, soit 75$ par Canadien. «Ces subventions sont un non-sens avec les profits que font les pétrolières, dit le député néo-démocrate Thomas Mulcair. Le principe du pollueur-payeur ne s'applique pas et nous allons laisser la dette écologique, sociale et financière la plus importante à nos enfants.»

Le Parti libéral du Canada fait la proposition la plus modeste: récupérer 500 millions en deux ans grâce à l'élimination graduelle de la déduction pour amortissement accéléré des investissements dans les sables bitumineux. Les trois partis de l'opposition sont tous favorables à la création d'une Bourse du carbone, pour laquelle les pétrolières seraient de bons clients. Le Parti conservateur du Canada n'a pas donné suite à notre demande d'entrevue.

L'industrie pétrolière canadienne reste muette devant ces propositions des partis de l'opposition. Les trois plus importantes pétrolières du pays, Canadian Natural Ressources, Imperial Oil (Esso) et Suncor Energy (Petro-Canada), ont toutes redirigé nos questions vers l'Association canadienne des producteurs pétroliers (CAPP), qui ne donne pas d'entrevue durant la campagne électorale.

Mais selon l'économiste Peter Tertzakian, qui vient de réaliser une étude sur les retombées économiques de l'industrie pétrolière pour le compte de CAPP, les propositions des partis de l'opposition pourraient être lourdes de conséquences si elles sont adoptées par la Chambre des communes.

M. Tertzakian rappelle l'exode des capitaux quand le gouvernement albertain a haussé de 25% les redevances de l'industrie pétrolière et gazière, en octobre 2007. Selon le CAPP, le niveau d'activité pétrolière a chuté de 36% et les investissements pétroliers sont passés de 50 à 30 milliards en Alberta en 2009, en raison à la fois de la récession et de la hausse des redevances. «Le nouveau régime de redevances a incité les entreprises à investir en Saskatchewan», avait dit à l'époque Rick George, PDG de Suncor Energy.

«Les sociétés pétrolières réagissent rapidement aux lois fiscales, dit Peter Tertzakian, économiste en chef et directeur général d'ARC Financial Corporation, firme d'investissement spécialisée dans le secteur de l'énergie. Il y a un an, le gouvernement albertain a changé certaines règles pour redevenir plus concurrentiel, et l'argent est revenu rapidement.» En 2010, le niveau d'activité a augmenté de 78% afin d'atteindre 5700 puits de pétrole (il y avait 4987 puits en 2008).

M. Tertzakian estime que les politiciens fédéraux oublient parfois l'importance des entreprises énergétiques dans l'économie canadienne. Selon lui, il s'agit de loin de la plus grande industrie du pays (115 milliards de produits vendus par année), loin devant l'automobile (65 milliards) et la foresterie (10 milliards). «Elle génère des investissements de 55 milliards par année et emploie des gens de la Colombie-Britannique à Terre-Neuve. C'est facile de dire de mettre fin aux subventions. D'ailleurs, ce ne sont même pas des subventions, ce sont plutôt des ajustements fiscaux comme il y en a pour plusieurs industries», dit Peter Pertzakian, auteur des livres A Thousand Barrels a Second et The End of Energy Obesity.

Au lieu de penser à couper les vivres à l'industrie pétrolière, Peter Tertzakian voudrait plutôt voir les politiciens discuter de nouveaux oléoducs de l'Alberta vers la Colombie-Britannique et le Québec. «Le Canada est le seul pays du monde qui produit trop de pétrole pour sa consommation mais qui doit quand même en importer, dit-il. Nous vendons notre pétrole seulement aux États-Unis, car il n'y a pas d'autres oléoducs. Nous sommes obligés de vendre à un prix moindre aux Américains parce que nous n'avons pas d'autres options sur les marchés internationaux.»

Selon Peter Tertzakian, les pétrolières canadiennes vendent leur production à 108$ le baril en moyenne aux États-Unis. Avec un oléoduc vers les côtes de la Colombie-Britannique qui leur donnerait accès au marché asiatique par bateau, elles pourraient vendre leur production à 120$ le baril en moyenne en Asie. «Ça veut dire qu'on laisse aller 11 milliards de revenus par année, dit-il. Ce sont beaucoup d'impôts de moins pour les gouvernements et pour la péréquation. Que vous viviez en Alberta ou au Québec, ça vous touche.»

M. Tertzakian aimerait aussi soulever un autre débat énergétique: la construction d'un oléoduc qui transporterait le pétrole albertain vers l'est du pays, dont le Québec. «Dans les années 50, le gouvernement Diefenbaker avait examiné l'idée, mais comme le pétrole ne coûtait pas cher à l'époque, il avait préféré en acheter de l'étranger, dit-il. Aujourd'hui, la situation a changé et il faut au moins examiner l'idée. Personne n'en parle, mais s'il y a une crise pétrolière, nous aurons du pétrole dans l'Ouest canadien mais pas dans l'est du pays. Ce serait une situation bizarre.»