Un projet nécessaire pour améliorer la supervision des marchés financiers au Canada, selon le gouvernement fédéral. Ou rien de moins qu'un «cheval de Troie» constitutionnel de la part d'Ottawa, dénoncent les provinces opposantes, dont le Québec.

Presque un an après son annonce par Ottawa, le projet fédéral de commission nationale de valeurs mobilières (CVM) dépend désormais d'un avis de la Cour suprême. Et selon la teneur des débats au cours des deux jours d'audience conclus hier à Ottawa, tout indique que les neuf juges prendront quelques mois avant de se prononcer sur la légalité constitutionnelle du projet fédéral.

Les questions des juges aux divers intervenants traduisaient leurs appréhensions quant à l'impact du projet fédéral sur un secteur de juridiction - la réglementation des valeurs mobilières - géré depuis longtemps par les provinces. Et ce, en dépit des quelques arguments d'ordre économique qui ont été présentés aux magistrats, en particulier par les procureurs fédéraux et des intervenants du secteur financier.

Selon eux, la création d'une CVM nationale constitue une extension normale des responsabilités d'Ottawa en matière de commerce et d'économie nationale, considérant la «mondialisation» des marchés et l'importance de mieux contrôler les «risques systémiques» après la crise de 2008.

Mais encore hier, en pleine plaidoirie de l'avocate de l'Ontario - seule province en accord total avec Ottawa -, le juge Louis LeBel a ramené le débat sur la portée constitutionnelle du projet fédéral d'une CVM nationale qui supplanterait les commissions provinciales actuelles.

«Ce que vous dites, en fait, c'est que le fédéralisme ne fonctionne plus. Que tout sujet qui devient important devrait passer sous juridiction fédérale, notamment en matière de réglementation financière?» a lancé le magistrat à l'avocate Janet Minor, de l'Ontario.

À l'instar des procureurs fédéraux, la veille, Mme Minor a soutenu hier en Cour suprême que les provinces se sont avérées «incapables de réglementer sur une base nationale». Et qu'en dépit des efforts de coordination ayant mené au système de «passeport» réglementaire, dont l'Ontario s'est exclu, la supervision des valeurs mobilières au Canada ne serait encore qu'un «ramassis» de diverses juridictions qui seraient inefficaces face à la mondialisation des marchés financiers.

«Le marché des valeurs mobilières n'est plus de niveau régional, mais de niveau international. Ça devrait donc relever des pouvoirs fédéraux en matière de commerce national», a soutenu Janet Minor.

Mais, selon le juge LeBel, qui a été le plus inquisiteur sur l'impact du projet fédéral sur le partage des juridictions avec les provinces selon la constitution, l'une des critiques suscitées envers le projet fédéral de commission nationale serait son «manque de sensibilité» envers les préoccupations régionales au Canada.

«Vous devez savoir qu'il n'y a pas que les intérêts de Toronto qui comptent dans ce débat, mais aussi ceux de Vancouver, de Montréal et d'autres régions», a dit le juge LeBel à l'endroit de l'avocate de l'Ontario.

Du côté québécois, l'impact constitutionnel du projet fédéral de CVM nationale, plutôt que ses éléments financiers, a aussi meublé les propos des intervenants non gouvernementaux qui ont plaidé devant la Cour suprême, hier.

Les gouvernements du Québec et de l'Alberta, qui mènent l'opposition au projet fédéral, étaient intervenus la veille.

Selon le Barreau du Québec, le projet fédéral pourrait compromettre la primauté du système particulier de droit civil qui prévaut au Québec, à la différence des autres provinces.

«Le projet fédéral actuel affronte de façon brutale le coeur du droit civil au Québec en matière de transactions commerciales», a plaidé Raymond Doray, qui représentait le Barreau.

«Ce projet représente un détournement de juridiction de la part du fédéral qui risque de tout englober en matière financière. Et ce n'est pas un hasard qu'il survienne après une crise (financière de 2008).»

Pour sa part, le MEDAC, regroupement d'actionnaires militants reconnu au Québec, a aussi dénoncé par la voix de son avocat, Guy Paquette, la façon de faire d'Ottawa pour accaparer une compétence «occupée mur à mur par les provinces» depuis des dizaines d'années.

«Le projet fédéral équivaut à un amendement constitutionnel en sa faveur qui serait obtenu par la voie judiciaire au lieu d'être fait à la suite de discussions politiques», selon M. Paquette.

De plus, a-t-il souligné, le projet fédéral de CVM nationale «amènerait des chevauchements énormes. On aime ça au Canada, mais ça coûte cher et c'est inefficace».