Le projet fédéral d'une commission nationale des valeurs mobilières a été vivement critiqué par les représentants du Québec et de l'Alberta, hier, au premier des deux jours d'audience devant la Cour suprême du Canada.

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«Qu'est-ce qui justifierait que le fédéral obtienne soudainement une compétence qui, depuis de nombreuses années, a été reconnue de juridiction provinciale à maintes reprises?» a demandé l'avocat Jean-Yves Bernard, qui représente le gouvernement du Québec.

«Le projet fédéral équivaut à une mainmise sur la réglementation des valeurs mobilières, en contradiction avec un siècle de compétence provinciale et de nombreux jugements rendus à ce sujet», a renchéri le principal avocat de l'Alberta, David Travender.

Le Québec et l'Alberta mènent l'opposition au projet fédéral depuis son annonce il y a presque qu'un an. Leur opposition a été renforcée récemment par des décisions de leur Cour d'appel respective déclarant le projet fédéral anticonstitutionnel.

En Cour suprême, hier, les neuf juges qui entendent cette cause d'une rare importance en matière d'affaires et de droit constitutionnel ont à tour de rôle posé des questions critiques aux procureurs fédéraux.

«Ce projet de loi (sur le commerce des valeurs mobilières) pourrait avoir un impact majeur sur le partage des juridictions entre le fédéral et les provinces», a commenté le juge Louis LeBel.

«Le législateur fédéral justifie son projet avec le besoin de réglementer un secteur qu'il considère de commerce national. Mais cet argument pourrait englober plusieurs autres secteurs, bien au-delà des objectifs de ce projet de loi particulier.»

Même la juge en chef, Beverley McLachlin, est intervenue plusieurs fois au cours de la présentation des avocats fédéraux, qui a duré deux heures.

«Pour que le fédéralisme fonctionne correctement, un projet de loi comme celui-ci doit faire la preuve d'un but d'envergure national», a-t-elle rappelé.

«Pourquoi le fédéral veut-il faire ce que les provinces font déjà?» a questionné pour sa part la juge Rosalie Abella.

Mais, selon les représentants fédéraux, même s'il empiétait sur des pouvoirs provinciaux, l'établissement d'une commission nationale de valeurs mobilières est une nécessité afin de «mieux gérer l'économie nationale».

Entre autres, a soutenu l'avocat Robert Frater, le projet fédéral uniformiserait la supervision du marché canadien des valeurs mobilières et en rehausserait la crédibilité à l'international. Aussi, ce projet renforcerait la capacité des autorités financières canadiennes à contrer les «risques systémiques» qui pourraient nuire à toute l'économie nationale.

Selon M. Frater, la crise financière de 2008 aurait démontré l'importance de mieux contrôler ces risques qui seraient au-delà des limites actuelles de la juridiction provinciale en valeurs mobilières.

Pour contrer cet argument, les procureurs du Québec et de l'Alberta ont rappelé aux juges de la Cour suprême que le système réglementaire actuel au Canada, partagé entre les provinces et le fédéral, avait été louangé par des autorités internationales pour sa bonne tenue relative au cours de la crise financière de 2008.

«Le fédéral dit maintenant qu'il faut une loi (des valeurs mobilières) pour tout le Canada afin d'uniformiser la réglementation. Mais jamais l'uniformité n'a été une raison pour soustraire la juridiction aux provinces», a indiqué l'avocat Jean-Yves Bernard, du Québec.

«De plus, tout ce qui se trouve dans le projet de loi fédéral est déjà fait par les provinces.»

À ce sujet, toutefois, les juges de la Cour suprême ont interpellé les procureurs provinciaux sur la façon de renforcer la réglementation sur certains aspects du marché des valeurs mobilières qui dépasseraient déjà la «capacité juridictionnelle» des provinces.

«Est-ce qu'un projet de loi fédéral pourrait s'en tenir à forcer une meilleure coopération avec les provinces, sans empiéter dans le champ constitutionnel?» a demandé un juge à l'avocat du Québec.

«Ça serait au procureur général du Canada de présenter un autre projet de loi. Pour le moment, le projet actuel est beaucoup trop englobant», a répondu M. Bernard.

L'audience en Cour suprême se poursuit aujourd'hui avec la comparution de la seule province ouvertement favorable au projet fédéral: l'Ontario.

Suivront en rafale les quatre provinces autres que le Québec et l'Alberta qui s'opposent au projet de loi fédéral.

On entendra aussi les huit intervenants non gouvernementaux qui ont été admis à plaider en faveur ou contre le projet fédéral.

Parmi les opposants, il y aura le Barreau du Québec et le MEDAC, principal regroupement québécois d'actionnaires activistes.